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Jean Zay : Portrait. Par Corinne Amar

édition mai 2025

Portraits d’auteurs

Avocat au barreau d’Orléans à 24 ans, député radical socialiste à 28 ans, Jean Zay (1904-1944) est nommé ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts par Léon Blum au sein de son gouvernement de Front populaire, à l’âge de 31 ans. De 1936 à 1939, il devient le plus jeune ministre de la IIIe République et démocratise l’accès au savoir dans les écoles et les musées.
Il meurt assassiné par la milice avant même d’avoir eu 40 ans, le 20 juin 1944. Qui fut cet homme au destin hors du commun ? Quelle fut cette personnalité qui justifia un accès précoce à de telles responsabilités et cette fin dans des conditions si tragiques ?

Issu par son père d’une famille de juifs alsaciens fortement enracinée dans la République, ayant opté pour la France en 1872 et venue s’installer à Orléans, Jean Zay y naît en 1904. Son père, Léon Zay, est rédacteur en chef du Progrès du Loiret, le journal des radicaux socialistes d'Orléans. Il est élevé, comme sa sœur cadette, dans la religion de leur mère, Alice Chartrain, protestante, dont la famille est du côté de Dreyfus et pour la Ligue des droits de l'Homme. Dans le contexte des années 1898 et d’une affaire des plus violentes à Orléans, avec une presse locale antidreyfusarde, Jean Zay grandit imprégné des idéaux humanistes défendus par ses deux parents. Boursier brillant, « suprêmement intelligent », il est primé au concours général de composition française et l’année suivante de philosophie. Il écrit dans le journal de son père dont il assure le secrétariat de rédaction. Dans un entretien en 1937, il confiera : « Le journal de mon père était un journal politique. C’est vous dire que je n’ai jamais commencé à faire de la politique. J’ai vécu dans son atmosphère. » 1 Parallèlement aux études de droit qu’il entreprend et qui vont le conduire au métier d’avocat, il se montre très tôt attiré par la politique – et celle qui l’intéresse, c’est la grande, la politique de l’État. Léon Blum le remarque, lui octroie l’Éducation nationale.
Deux mois avant de fêter ses trente-deux ans, Jean Zay devient donc ministre de l’Éducation et des Beaux-Arts. Ses mesures, son style sont aussitôt innovants. À commencer par la toute première réforme lancée dès son arrivée et votée dans la foulée, le 6 août 1936 : la prolongation de la scolarité obligatoire de 13 à 14 ans — une idée qui fait partie du programme de la gauche depuis longtemps, comme l’enseignement accessible aux enfants de toutes conditions. Il est à l’origine d’une démocratisation et d’une modernisation de l’enseignement des premiers et seconds degrés, du sport à l’école, de la création du CNRS, de l’ENA, du festival de Cannes. Il favorise la création artistique, défend les droits de l’écrivain. Par ailleurs, il est sans cesse attaqué par l’extrême-droite française comme ministre du Front populaire, de gauche, juif, franc-maçon : tout ce que Vichy exècre.
À la déclaration de guerre, Jean Zay démissionne de ses fonctions de ministre et prend l'uniforme du soldat – il a alors trente-cinq ans – pour s’engager dans l’armée. Hostile à l’armistice, il monte sur le Massalia pour rejoindre l’Afrique du Nord : il est condamné par Vichy pour « abandon de poste et désertion en présence de l’ennemi ». Il est arrêté au Maroc, à Casablanca, sur ordre du gouvernement Pétain et transféré en France. Il est traduit devant un conseil de guerre, le 4 octobre 1940, lequel le condamne à la détention à perpétuité. Il est emprisonné à Clermont-Ferrand, puis à Marseille et finalement à la prison de Riom, le 7 janvier 1941. Commence une lente descente aux enfers. Jusque-là, il est privé de sa famille. Dès le 30 mai 1941, il connaît une existence carcérale plutôt correcte, le régime de prisonnier politique lui permettant de recevoir sa famille dans sa cellule. Sa femme, ses deux filles, Catherine (1936-2023) et Hélène (née en 1940), son père viennent le rejoindre à Riom et passent de longues heures avec lui. Il lange la petite, lui apprend à se tenir debout. Il n’est pas coupé du monde, il peut écrire et recevoir des lettres. Il rédige un journal de captivité, Souvenirs et solitude, une fervente méditation à laquelle, malgré la dureté de sa détention, il consacre l’essentiel de ses forces. « 14 mars 1941, Je glane ce que je peux du printemps naissant : quelques rayons de soleil qui commencent à se risquer sur mon mur, des chants lointains d’enfants au détour d’une promenade, une sorte de joie impalpable dans l’éclat d’un ciel bleu et uni. L’hiver est lugubre pour l’emprisonné ; mais le beau temps accroît la sensation cruelle qu’on vous a oublié, que personne ne se soucie de vous. » 2 Il y témoigne de ce qu’il a connu au temps où il était ministre, il y fait part aussi de ce qu’il vit dans sa cellule de prisonnier : l’enfermement et la solitude – thème qui domine l’ouvrage.

« Le poids de la solitude s'accroît avec le soir et la nuit est couleur de détresse. La lumière expirante du jour est encore une communion avec le dehors. J'en use jusqu’à la dernière parcelle. » 3

Après la réédition de Souvenirs et solitude (publié pour la première fois en 1946), avec les Écrits de prison 1940-1944, c’est la correspondance de Jean Zay qui nous est donnée à lire  – ses carnets, ses lettres, soit plus de 550 lettres écrites en prison, dont 290, à son épouse Madeleine à qui il écrit tous les jours. 4
Il en écrit presque autant à sa sœur, Jacqueline. Lorsqu’on ouvre la correspondance où la part familiale est fondamentale, on découvre la profonde humanité qui l’habite tout le temps de sa captivité, sa foi, cette infinie tendresse pour sa famille. Il est très proche des siens. Littérature et textes codés pour la Résistance, avec laquelle il est en contact, sortent de l’ombre grâce à Madeleine, cachés dans le landau d’Hélène. II s’adresse à sa femme en l’appelant « mon cher petit amour bien aimée », il chérit ses deux filles, se veut rassurant, demeure protecteur, cherche le mot drôle malgré les terribles conditions de détention. « Le coiffeur de la prison m’a fait la barbe, que je porte entière, classique, comme celle de grand-père autrefois (…) je puis dire que j’ai enfin la tête traditionnelle du déporté. Je ressemble à un républicain de 48 : ce genre de silhouette ne me déplaît pas. », écrit-il à Madeleine, le 29 janvier 1941. Noblesse du cœur, de l’âme : il se veut relié au monde.
Sa correspondance s’achève le 19 juin 1944, par une lettre adressée à sa femme : « Voici la dernière étape, celle qui sera brève et au bout de laquelle nous nous retrouverons unis et tranquilles dans notre bonheur, avec nos filles. Je t’aime mon amour de toute mon âme. J’emporte le réconfort de notre entretien de dimanche. Je suis fier de toi. Je te dois déjà treize années de profond bonheur. D’autres nous sont dues. » 5
Parce qu'il demeure un symbole du Front populaire et de la République, l'État milicien dirigé par Pétain, Laval et Darnand va donc l'exécuter lâchement. S’il pressent la tragédie qui le menace, Jean Zay ignore que le lendemain, 20 juin 1944, des miliciens l’arracheront à sa prison prétendant le conduire au maquis, pour l’assassiner d’une rafale de mitraillette à l’orée d’un bois, dans l’Allier. Dépouillé de ses vêtements, le corps jeté dans un puits attestera de sa disparition. Son corps ne sera retrouvé qu’en septembre 1946.
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1. Antoine Prost, Pascal Ory, Jean Zay, Le ministre assassiné 1904-1944, Tallandier 2015, p. 18
2. Jean Zay, Souvenirs et solitude, réédition Belin, 2010, p. 84
3. Jean Zay, Souvenirs et solitude, op. cité, 21 avril 1941, p.95
4. Jean Zay, Écrits de prison 1940-1944, Belin, 2014
5.  Jean Zay, Écrits de prison 1940-1944, op. cité, p. 648.