FloriLettres

Dernières parutions, édition sept. 2019. Par Élisabeth Miso et Corinne Amar

édition septembre 2019

Dernières parutions

ROMANS

Samuel Blumenfeld, Les derniers jours de Marlon Brando. Pour son nouveau roman, Samuel Blumenfeld s’est glissé dans la peau de son narrateur, un journaliste qui se voit invité par son amie Rebecca, la fille de Marlon Brando, à partager un moment d’intimité avec le monstre sacré, au soir de sa vie. Le critique du Monde, spécialiste du cinéma américain et fin connaisseur du phénomène Brando, imagine ici trois rencontres au début des années 2000, au 12900 Mulholland Drive, le domicile de la star sur les hauteurs de Hollywood. « Du point de vue d’un journaliste les derniers jours de Brando constituent le récit idéal. Avec un angle. Et la dramatisation nécessaire. Un récit où il devient possible de tout raconter puisque tout converge vers le dernier souffle. » Le narrateur garde en mémoire le tour de force de Truman Capote, qui avait réussi en 1957 à approcher l’acteur, n’hésitant pas à faire le voyage jusqu’à Kyôto où ce dernier tournait Sayonara. Oubliant sa méfiance légendaire à l’égard des médias, Brando s’était livré six heures durant sans se douter un seul instant que le portrait publié dans The New Yorker ne dissimulerait rien de ses failles et de sa part d’ombre. « Capote avait fixé Brando dans une mythologie, celle d’un demi-dieu splendide, rayonnant et cruel. J’aurais droit aux restes de cette divinité, à un astre déchu, une splendeur abîmée. » Difficile, en effet, de reconnaître sous les traits de cet octogénaire obèse, paranoïaque et reclus dans sa villa californienne, l’icône révélée par Un tramway nommé Désir. Interrogeant sa propre fascination, dessinant au fil des conversations un jeu de miroirs entre passé et présent, entre fiction, mensonge et vie réelle, le journaliste met en évidence les signes encore vivaces d’un éclat et d’un magnétisme perdus. Beauté animale et  génie d’acteur, blessures d’enfance, conquêtes amoureuses, divorces, gloire, traversée du désert, résurrection avec les rôles du Parrain et du colonel Kurtz dans Apocalypse Now ou drames familiaux (condamnation pour meurtre de son fils Christian, suicide de sa fille Cheyenne) ; Samuel Blumenfeld revisite la filmographie et la trajectoire intime de Marlon Brando pour mieux souligner la dimension profondément romanesque de son existence. Éd. Stock, 256 p., 18,50 €. Élisabeth Miso

Hélène Gaudy, Un monde sans rivage

Hélène Gaudy, Un monde sans rivage. « Il y a des histoires qui réveillent quelque chose dont on ignorait jusqu’à la présence. Un appétit, un désir, un manque, un processus qu’on ne peut arrêter, sans qu’on comprenne toujours à quoi elles font écho. » En 2014, lors d’une visite au musée Louisiana de Copenhague, Hélène Gaudy est littéralement happée par les photographies miraculeusement sauvées d’une expédition polaire de la fin du XIXème siècle. Le roman a commencé là, dans ce besoin d’entendre le récit de ces fragiles silhouettes humaines échouées avec leur ballon à hydrogène sur l’immensité blanche de la banquise. À l’été 1930, la fonte des glaces mettait au jour, sur l’île Kvitøya (l’île Blanche) la plus reculée de l’archipel de Svalbard, les dépouilles de trois explorateurs suédois disparus trente-trois ans auparavant alors qu’ils tentaient d’atteindre le pôle Nord. Le 11 juillet 1897, l’ingénieur Salomon August Andrée s’envolait de l’île de Danskøya (l’île des Danois) aux côtés de l’ingénieur Knut Frænkel et du photographe Nils Strindberg. Trois jours plus tard leur aérostat atterrissait avec fracas sur une plaque de glace à la dérive. « Ce gouffre en forme de ballon, ils le regardent, le photographient, posent à ses côtés, l’acceptent, l’immortalisent puisqu’ils n’ont plus que ça. » S’appuyant sur le journal d’Andrée, les lettres de Strindberg à sa fiancée Anna Charlier et les pellicules retrouvés dans les vestiges de leur campement, l’écrivaine reconstitue par le biais de la fiction leur tragique périple. Les trois compagnons marchent ainsi pendant trois mois, consignent leurs observations scientifiques, inventorient, cartographient, chassent les ours polaires. Malgré l’épuisement et un équipement inadapté aux conditions extrêmes, leur curiosité et leur poésie restent intactes,  ils désirent tant marquer de leur empreinte cette partie du globe. Mais « Le paysage échappe aux représentations, aux prévisions, aux relevés, il s’échappe tout court, (leur) file entre les doigts. » et va bientôt les recouvrir tout à fait. Un monde sans rivage se lit comme un roman d’aventure, une réflexion sur les ressorts mystérieux qui poussent les hommes à se dépasser et à vouloir façonner la nature, à inscrire désespérément des traces de leur présence. Éd. Actes Sud, 320 p., 21 €. Élisabeth Miso

couverture livre de Sylvain Prudhomme, par les routes

Sylvain Prudhomme, Par les routes. « J’ai retrouvé l’auto-stoppeur dans une petite ville du sud-est de la France après des années sans penser à lui. Je l’ai retrouvé amoureux, installé, devenu père. Je me suis rappelé tout ce qui m’avait décidé autrefois à lui demander de sortir de ma vie. J’ai frappé à sa porte. J’ai rencontré Marie. » Le narrateur a quarante ans, écrit des livres, rêve d’entamer une nouvelle vie, vient de quitter Paris pour s’installer dans une ville nommée par sa seule initiale : V. Parce que la ville est petite, il y retrouve l’ami cher des années estudiantines. Pas de nom, lui non plus, sinon ce surnom de l’auto-stoppeur, souvenir d’une passion qu’ils avaient en commun : partir. Le narrateur entre dans l’intimité nouvelle de cette famille composée et chaleureuse, va chercher le petit Augustin à l’école quand Marie ne peut pas, partage des repas avec Marie quand l’auto-stoppeur repart à l’aventure, sans dire où, sans savoir, comme du temps de son célibat adolescent. L’auto-stoppeur où la métaphore de celui qui s’abandonne à ce qui vient. Souvent, il envoie une carte postale d’un lieu improbable où il a atterri. Et le narrateur se prend à rêver devant ces quelques mots laconiques d’un paysage au loin. Le sujet du roman est aussi cette question amoureuse qui traverse les trois personnages ; le narrateur, l’auto-stoppeur et Marie, entre ces deux hommes ; l’histoire d’une femme qui aime un homme – celui qui l’aime, celui avec qui elle vit et avec qui elle a un enfant mais qui ne peut s’empêcher de partir  –  puis, un autre homme, celui qui est proche, celui qui reste. Une comédie sentimentale et douce qui parle des retrouvailles avec l’ami, et des rencontres qu’offre la vie, du désir et de l’amour, de l’amitié qui est une des formes de l’amour, des bouleversantes disponibilités du cœur libre, du besoin d’ailleurs de celui qui se sent attaché. Éd. L’Arbalète/Gallimard, 299 p., 19 €. Corinne Amar

AUTOBIOGRAPHIES

couverture du livre de John cage, Autobiographie

John Cage, Autobiographie. Traduction de l’anglais (États-Unis) Monique Fong. « Ma musique préférée est celle que je n’ai pas encore entendue. Je n’entends pas la musique que j’écris. J’écris pour entendre la musique que je n’ai pas encore entendue. » Dans ce texte tiré d’une conférence donnée à Kyôto en 1989, John Cage (1912-1992) résume l’imbrication "d’incidents, de personnes et d’événements décisifs qui ont influencé (sa) vie et (son) travail (…)". Né d'un père inventeur et d'une mère très indépendante rédactrice pour le Los Angeles Times, il quitte l'université au bout de deux ans pour voyager en Europe et se découvre rapidement un goût affirmé pour la musique et la peinture modernes. Sa quête  musicale le conduit ensuite à étudier avec Richard Buhlig, Henry Cowell, Adolph Weiss et Arnold Schoenberg qui le déclare inapte à devenir compositeur, jugeant son sens de l’harmonie inexistant. Loin de se décourager, John Cage creuse son propre sillon en marge des règles académiques. À la Cornish School de Seattle, il écrit pour les percussions et accompagne les danseurs. Il élabore sa théorie de structure rythmique et s’initie au bouddhisme zen. Sa musique expérimentale stimule des chorégraphes comme Merce Cunningham avec qui il collaborera durablement. « À la fin des années 40, j’ai découvert grâce à une expérience (je suis entré dans une chambre anéchoïque à Harvard) que le silence n’est pas acoustique. C’est un changement d’avis, un retournement. J’y ai consacré ma musique. Mon travail est devenu une exploration de la non-intention. » Recherche qu’illustre parfaitement, 4’33’’, un morceau inspiré par le bruit du silence et les tableaux blancs de Rauschenberg. Nourrie de philosophie orientale, de vibrations entre production graphique (lithographie, eau-forte), écriture et musique, sa démarche s’appuie sur la notion de hasard et tend à se libérer d’une perception occidentale et de l’ego artistique. À ses yeux, tout est susceptible d’intégrer son processus créatif, tout est matière vivante : une note, un son, le silence, un mot, un mouvement, l’immobilité. Éd. Allia, 64 p., 6,50 €. Élisabeth Miso

RÉCITS

couverture du livre de Nathalie Rheims, Les reins et le coeur

Nathalie Rheims, Les reins et les cœurs. « Je m’étais toujours voilé la face. Ma sœur Bettina n’avait cessé de m’alerter. Des années durant, elle m’avait incitée à surveiller les signes de cette maladie génétique qui avait touché notre mère. Elle avait raison, la menace était suspendue au-dessus de nos têtes. » Rattrapée par un gène de famille, un mal singulier telle une malédiction qui toucherait toutes les femmes de sa famille, sa grand-mère qui fut en dialyse pendant des années, sa mère, vingt-cinq ans durant enchaînée à une machine, sa sœur, traumatisée et vigilante, l’auteur s’est crue à l’abri, tant qu’elle n’y pensait pas, tant qu’elle pouvait faire comme si cela n’existait pas. Soudain, des analyses de sang inquiétantes, et elle se retrouve un jour en danger et en réanimation. Elle découvre alors que son pronostic vital est fortement engagé, qu’une insuffisance rénale peut tuer, qu’il lui faut envisager l’idée d’une greffe de rein. Confrontée à une réalité cruelle, douloureuse, elle raconte une année de lutte, arrivée aux limites de ce que le corps peut endurer. Elle n’a d’autre possibilité que d’accepter l’idée du don qui pourrait la sauver : la greffe d’un rein, par une personne vivante, un donneur compatible, et elle sait que cette attente-là peut être longue et angoissante. Un ange gardien s’annonce, son ami Flavien, danseur, son ami de cœur, son compagnon. La greffe est possible, mais il faut aussi qu’elle tienne, accepter qu’on vienne à son secours, continuer de lutter, de chasser ce sentiment insistant de culpabilité, apprivoiser à la fois un organe étranger et sa propre conscience. Croire au progrès réalisé par la science, revenir à la vie, à la joie des petits gestes, des infimes plaisirs. Chaque jour apparait comme une victoire sur le néant. « Revenir en arrière est impossible ». Éd. Léo Scheer - 205 pages - 18 €. Corinne Amar