FloriLettres

Edmond Michelet. Portrait. Par Corinne Amar

édition février 2023

Portraits d’auteurs

Qui était Edmond Michelet ? Il fut une grande figure de la Résistance, « rares sont les pères de famille nombreuse de plus de quarante ans à faire ce choix (1). Capturé en février 1943, puis déporté à Dachau, chrétien engagé, il y survivra grâce à une foi inébranlable. Il fut aussi une grande figure du gaullisme, plusieurs fois ministre du général de Gaulle et son ami, occupant plusieurs ministères dont celui de la Justice pendant la guerre d’Algérie. Edmond Michelet (1899-1970) fut le premier résistant de France à avoir publié un tract appelant à la résistance, au moment même où, sans qu’il le sache, le général de Gaulle lançait l’appel du 18 juin 1940. De l’enfer vécu de la déportation, il laissera un témoignage à vif et de grande importance dans la littérature de la souffrance, cette expérience indélébile qu’il racontera, dix ans après sa libération dans un livre au titre paradoxal, Rue de la Liberté, Dachau 1943-1945, réédité récemment (2).

Né à Paris, Edmond Charles Octave Michelet aspirait à être avocat mais dut arrêter les études dès l'adolescence, pour devenir courtier en alimentation et le successeur de l'affaire familiale comme le souhaitait son père, républicain dreyfusard. À dix-huit ans, engagé volontaire pour la durée de la guerre, admirant « les héros qui tombent au front », il est envoyé à Brive faire ses classes militaires. Cette venue en Corrèze bouleversera définitivement sa vie : il y rencontre Marie Vialle. En 1920, ils ont 20 ans tous les deux et se fiancent aussitôt, se marient cinq ans plus tard. Ils auront sept enfants. Edmond Michelet milite à l’Action catholique pour la jeunesse française, sa foi s’y affermit. Devant la montée du nazisme, il crée un groupe de réflexion, organise des conférences sur les « dangers qui menacent notre civilisation », développe le Secours national pour venir en aide aux réfugiés. Le 17 juin 1940, jour même où Pétain annonce à la radio qu’il faut cesser le combat et signer l’armistice avec Hitler, Michelet rédige un tract où il appelle à la Résistance contre l’envahisseur nazi, reprenant un texte cher de Charles Péguy : « Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend ». La Résistance s’organise : au service des victimes du régime de Vichy, il accueille les républicains espagnols réfugiés, les Juifs chassés par les nazis, des enfants de familles « inconnues », qu’il place à l’orphelinat d’Aubazine (village corrézien), débrouille des faux-papiers, trouve des caches sûres. Chef du mouvement de résistance des démocrates-chrétiens, Combat, en Limousin, il est arrêté le 25 février 1943, à son domicile, après une dénonciation. Dans La meute, histoire de la Gestapo à Limoges (3), l’ouvrage très documenté du passionné Christian Penot sur le sujet, un chapitre intitulé L’affaire Combat évoque cette série d’arrestations corréziennes qui eut lieu les 29 janvier et 23 février « la première opération d’importance traitée par la police allemande dans la région, et la plus grande trahison de l’histoire de la Résistance limousine. » Et le traître s’appelait Robert Schneider, jeune membre des corps francs de Combat, notamment chargé des liaisons, qui entra au service de la Gestapo et fournit les renseignements attendus. « La seule grosse affaire qui ait été faite a été l’affaire Schneider lorsque celui-ci est venu dénoncer la résistance de la région et notamment M. Michelet » (4).

Interrogé par la Gestapo à l'Hôtel Terminus, Edmond Michelet est ensuite transféré à Fresnes. Il réussira même à correspondre avec sa femme qui glissera dans la chair de patates bouillies des mots auxquels son mari répondra en cachant des messages minuscules dans ses cols de chemises. Puis c'est le départ pour Dachau en septembre « après avoir été mis au secret à Fresnes, sans que jamais les nazis imaginent qu’ils ont entre les mains le chef de la région R5 de Combat. Il survivra aux mauvais traitements et au typhus » (5), et là-bas, il rassemblera la communauté française. Les témoins de cette expérience partagée évoqueront tous son charisme, son courage. Le livre bouleverse par son humilité, sa lumineuse humanité, par la grandeur de celui qui estimait que cette tragédie avait été vécue par d’autres dans des conditions infiniment plus terribles ; il captive par ce qu’il raconte à hauteur d’homme de la vie dans le camp, de ses compagnons d’infortune, des cadavres qui tombent, du froid, de la douleur, de la faim, de la lueur d’espérance qui domine. « Quand l’hiver prit fin, les survivants étaient ceux qui avaient tenu bon la rampe. Ceux qui l’avaient lâchée, ne fût-ce qu’un instant, s’étaient trouvés nettoyés en un tournemain. Le processus ne variait pas : sur les rangs de l’Antreten, en revenant de son Kommando de travail, l’allure du camarade qui allait abandonner la partie le désignait vite, il déclarait forfait d’une voix découragée. Effectivement, le surlendemain au plus tard, il n’était plus là. » (6). Page après page, il décrit cette étonnante puissance de la volonté au-delà de la condition physique : « C’était de véritables squelettes ambulants. On se demandait comment ils tenaient debout. Ils « tenaient », pourtant, simplement parce qu’ils avaient une fois pour toutes décidé qu’ils tiendraient. ». Hommage rendu à tous ceux qui furent là, comme lui, dans ce chemin de souffrance, il les citera tous, les illustres comme les inconnus, tous solidaires, généreux d’eux-mêmes, autant qu’ils le pouvaient. « L’autre squelette non démissionnaire était Roger Bibonne, toujours de bonne humeur. Et pourtant, son Kommando, celui des chaudières, était un des plus redoutables. Il nous arrivait au Block le soir, fourbu, crasseux, traînant la jambe comme tous ses camarades, mais le sourire aux lèvres. À se demander s’il n’était pas un peu « innocent ». Mais ce n’était pas le cas » (7).

De cette expérience des survivants, dont il rappelle qu’une « certaine candeur » leur était à tout jamais interdite, il ajoutera, dans les pages de fin, que pour lui, en guise de conclusion, ce fut « une leçon d’espérance en l’homme » qu’il voulut retirer de son aventure.
Le camp fut libéré par les alliés le 29 avril 1945. Michelet représenta la France au Comité international, s’occupa du rapatriement de tous les Français, des Espagnols internés. Il fut de retour en France, le 27 mai 1945.

Après la Libération, il devint député de la Corrèze, en octobre 1945, puis un mois plus tard, ministre des Armées du général de Gaulle. En 1958, il devenait ministre des Anciens Combattants, puis ministre d’État, sans portefeuille. En 1969, il succédait aux Affaires culturelles, à André Malraux, dans le gouvernement Chaban-Delmas. Il entamait ainsi une carrière politique qui allait durer vingt-cinq ans. À Dachau, il n'aurait pas vécu ce qu'il a vécu sans la foi ; en politique, il ajouta à cette foi la conscience fondamentale de la charité et de la justice. Marqué par ses années de guerre, « nous étions à Dachau méprisés au-delà de tout ce qu’on peut imaginer », celui qui ne supportera jamais plus l'humiliation et les tortures et sera appelé « le ministre de la miséricorde », déclarera, tout juste installé place Vendôme : « Je serai toujours du côté de ceux qui ont les menottes ! » Edmond Michelet mettra sa carrière politique au service de la paix, œuvrant pour réconcilier l’Europe et le monde, fidèle aux valeurs chrétiennes de sa jeunesse.

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(1) Edmond Michelet, Rue de la Liberté, Dachau 1943-1945, préface de Hervé Gaymard, avant-propos d’Olivier Wieviorka, éd. Seuil, 1955, et pour la présente édition, 2020, préface p.8.

(2) op. cité.

(3) Christian Penot, La meute, histoire de la Gestapo à Limoges, éd. La Geste, 2023.

(4 bis) Christian Penot, op. cité, p. 162

(5) Edmond Michelet, op. cité, p. 8

(6-7) Edmond Michelet, op. cité p. 167.