FloriLettres

Dernières parutions, édition mars 2019. Par Élisabeth Miso et Corinne Amar

édition mars 2019

Dernières parutions

BIOGRAPHIES

Arthur Cerf, Marlon Brando Les stars durent dix ans. Arthur Cerf, journaliste pour les magazines Sofilm et Society, inaugure « Capricci Stories », une nouvelle collection de portraits synthétiques et littéraires d’acteurs avec la figure mythique de Marlon Brando. Se concentrant sur quelques rôles clés de sa filmographie et s’appuyant sur une documentation variée, il met en lumière toute la complexité du personnage, ses traits de génie et ses tourments, sa trajectoire jalonnée de gloire, d’échecs, de relations conflictuelles, d’oubli et de drames intimes. Quand il débarque à New York au printemps 1943 à dix-neuf ans, il a laissé derrière lui son Nebraska natal, l’abandon d’un père violent et insensible, une mère qui a sombré dans l’alcool après le départ de son mari infidèle. Il s’installe chez sa sœur, écume les clubs de Harlem la nuit, multiplie  les conquêtes amoureuses. Il s’inscrit dans le cours d’art dramatique de Stella Adler et sous son influence et sa protection, façonne sa manière d’aborder les rôles, se cultive et fréquente de nouveaux milieux. En 1947, Elia Kazan adapte pour la scène Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams. Le succès de la pièce doit beaucoup à la présence magnétique du jeune comédien. Dans la version filmée sortie en 1951, il crève littéralement l’écran moulé dans des tee-shirts qui mettent en valeur sa musculature. « Brando devient l’incarnation de la sauvagerie du monde. C’est l’une des performances les plus novatrices de l’histoire du septième art. Ce degré de complexité dans les rapports humains a alors rarement été atteint au cinéma.» Il devient un symbole pour toute la jeunesse des années cinquante révolutionnant au passage le jeu de l’acteur. Sur les quais (1954) le porte aux sommets avec l’oscar du meilleur acteur. D’autres succès l’attendent encore, mais aussi des traversées du désert, des scandales (Le Dernier Tango à Paris, 1972), des renaissances éphémères (Le Parrain, 1972, Apocalypse Now, 1979), puis dans les années 1990 le repli dans sa propriété de Mulholland Drive ou son atoll polynésien et les épreuves médiatiques du procès pour meurtre de son fils Christian et du suicide de sa fille Cheyenne. Les extraits d’interviews et de son autobiographie, les témoignages, révèlent un être tour à tour fascinant, irrésistible, rebelle, provocateur, cabotin, en quête d’authenticité et de sens, de reconnaissance artistique, fragile, angoissé, engagé politiquement pour les droits civiques des Afro-Américains et des Indiens, aux prises avec ses démons intérieurs, méprisant le monde artificiel du cinéma et lui-même. Capricci, 144 p., 11,50 €. Élisabeth Miso

 

gaëlle Josse, une femme en contre-jour

Gaëlle Josse, Une femme en contre-jour. C’est l’histoire d’une Américaine aux origines franco-autrichiennes, née à New York dans les années 20, aura anonyme, invisible, marginalisée, accumulatrice compulsive ; une nurse que les enfants aimaient, une bonne d’enfant qui passa sa vie un appareil photographique accroché au cou, comme si son souffle en dépendait, saisissant des milliers de clichés de ceux qu’elle croisait dans la rue, à New York ou à Chicago ; les ivrognes ramassés par la police, les Hispanos, les Noirs - les en marge, ceux qui n’avaient plus de rêves - fit des autoportraits ; un bout de chapeau, un bout de visage, un effacement : Vivian Maier (1926-2009), une personnalité et une œuvre qui n’eurent pas le temps de connaître leur génie. « Et ce visage de femme, toujours le même, qui apparaît dans d’innombrables et étranges autoportraits. Parfois, c’est seulement son ombre, son œil, son chapeau, ou bien, il faut la chercher comme dans un jeu de piste, dans un angle inattendu de l’image. (p.20). » Par une écriture resserrée où l’émotion passe, précise, au plus près du personnage et de la légende qui captivent, Gaëlle Josse commence par l’endroit de la fin ; la mort de Vivian Maier, et remonte le fil d’un mystère. L’histoire, c’est ensuite la découverte, en 2007, dans une salle des ventes de Chicago par un agent immobilier, John Maloof qui cherchait matière pour écrire un livre sur Chicago, d’un lot contenant des milliers de clichés photographiques, négatifs, pellicules non développées - Vivian Maier n’a tiré que très peu de ses photos. Attiré, intrigué, il achète le tout, poste quelques clichés sur des réseaux sociaux, en vend aussi, recherche activement leur propriétaire, jusqu’à ce qu’un avis de décès publié dans le Chicago Tribune, lui apprenne que Vivian Maier vient tout juste de décéder. Il va alors déployer toute son énergie, ses moyens, pour la faire découvrir. Éditions Noir sur blanc, collection Notabilia, 154 p., 14 €  Corinne Amar

ROMANS

Olivier Rasimi, Cocteau sur le rivage

Olivier Rasimi, Cocteau sur le rivage. Le 12 décembre 1923, Raymond Radiguet succombe à une fièvre thyphoïde à tout juste vingt ans. Une foule immense se presse à ses funérailles. Tous ses amis intellectuels et artistes sont là, Misia Sert, Coco Chanel, Max Jacob, Gide, Picasso, Satie, Picabia, Juan Gris, Brancusi, Poulenc, Georges Auric, Marie Laurencin, Kessel, Tzara. Tous sauf Jean Cocteau, l’ami incontournable, soutien de tous les instants dans la genèse du Diable au corps et qui veillera à la publication posthume du Bal du comte d’Orgel. Le poète est anéanti par la disparition du jeune prodige qu’il considère comme son fils, de cet être intense qui l’a conquis dès leur première rencontre. « Raymond l’avait touché en plein cœur, quelque chose s’était déchiré en lui, mais déchiré comme peut l’être la soie, de façon très douce, irréparable. » Il reste cloîtré dans sa chambre trois jours entiers à le pleurer. Max Jacob lui suggère de partir sur la Côte-d’Azur. À Villefranche-sur-Mer, il tente de « vaincre la sale bête noire qui (lui) mange le cœur », cette douleur qui le ronge et qu’il anesthésie dans la fumée d’opium, la caresse du soleil et la contemplation des couleurs et de la lumière méditerranéennes sur sa barque de pêcheur baptisée Heurtebise. « Je ne suis plus moi-même. Je continue à vivre en somnambule. Mes réveils sont d’une épouvante. Je ne peux même pas décrire ce qui m’arrive. J’ai cent ans et l’âme à vif comme une peau brûlée. », écrit-il à sa mère en janvier 1924. Il est convaincu qu’une part de lui est définitivement morte, emportant avec elle toute vélléité d’écrire. Pendant trois ans il va se réfugier de longues périodes dans ce petit port de pêche. Seul ou entouré de Picasso, Georges Auric, Max Jacob, Desnos, Crevel ou Marie Laurencin, correspondant avec Gide, Mauriac, Jacques et Raïssa Maritain, rendant visite à pied à Igor Stravinsky dans la villa qu’il loue à Nice. Ce sont ces trois années de deuil, d’égarement, d’un chagrin inconsolable puis d’un retour progressif à la vie, au désir et à l’inspiration artistique (poèmes, dessins, pièce de théâtre) que raconte dans sa langue poétique et délicate Olivier Rasimi, ex-guitariste du groupe Jours Étranges et galeriste à Paris. Éd. Arléa, La rencontre, 168 p., 17 €. Élisabeth Miso

RÉCITS

Samuel Adrian, Le syndrome Tom Sawyer

Samuel Adrian, Le syndrome de Tom Sawyer. Se souvient-on de Tom Sawyer, ce jeune héros de Mark Twain, premier roman daté de 1876 qui racontait les aventures-mésaventures d’un jeune orphelin fou de liberté et de fantaisie qui s’obstinait à croire que ce qu’il lisait dans les livres de fiction existait pour de vrai ? Tout commençait dans un cimetière...(Avant dimanche 25 septembre) Étudiant en lettres-supérieures en désarroi et apprenti-croque-mort dans une agence funéraire, au cimetière de Vaugirard, à Paris, un jour et déambulant entre les tombes, mélancolique d’avoir perdu la foi, ressentant quelque chose de l’ordre de l’ébranlement à l’intérieur, notre auteur-narrateur ressent le besoin impérieux de prendre le large. Pour aller à Jérusalem à pied, il suffit de commencer par prendre le chemin qui va à l’école. Nous voilà rassurés. « (Mardi 27 septembre) Aujourd’hui, à l’aube, emmitouflé dans mon duvet, je ne pense à rien. La tête appuyée contre mon sac, j’observe les niellures des branches sur le ciel. Une journée vide commence. Je suis seul au monde, et le monde est neuf. Je comprends que je suis parti comme un voleur. Je n’ai rien préparé. » Une enfance pieuse, il se croyait à l’abri de toute désertion divine quand ce pan de la vie spirituelle s’effondre : à défaut de prier, marcher. Direction Katmandou ? Non, il opte pour Jérusalem. Il part seul, un duvet, deux livres, peu d’argent sur lui, pas de carte bancaire, démarche de pèlerin. Journal d’un voyage. (Mercredi 30 novembre). Près de deux mois après être parti, prise de conscience d’une légèreté, il s’étonne de se passer de Dieu, il marche, lit la Bible, dort où il peut, mange quand il peut, cherche l’Alaska de Jack London dans les Alpes italiennes, l’Orient de Loti dans les bourgs de Campanie, revoit l’Algérie de Camus à travers la rumeur d’une rue de Terracina : (Jeudi 1er décembre) ça y est, il est atteint du syndrome Tom Sawyer. Éd Equateurs, 235 p., 19 €. Corinne Amar.

 

Howard Cunnell, Pères et Fils

Howard Cunnell, Pères et Fils. Traduction de l’anglais (Royaume-Uni) Stéphane Roques. Quand il était enfant Howard Cunnell, universitaire, écrivain et éditeur de Sur la Route : le rouleau original de Jack Kerouac, cherchait le visage de son père dans tous les hommes qu’il croisait. Il pensait être la cause de son départ et espérait son retour tout en le détestant. Son père a quitté sa mère peu avant sa naissance, la laissant seule avec deux fils à élever. Tout comme le narrateur de Pères et Fils, il a grandi à Eastbourne dans le Sussex et garde ancré dans le cœur la joie de ces journées d’été passées sur la plage avec sa mère si jeune et si belle sous le soleil et son frère, son aîné de trois ans qu’il suivait partout. L’abandon du père ne cesse de le hanter. « La colère en moi était permanente, et je n’aurais jamais pensé pouvoir éprouver autre chose. La colère était un monstre qui vivait en moi, se nourrissait de l’absence. » Adolescent, il traverse une période d’errance, joue au dur, fréquente les pubs avec sa bande d’amis tous sans père comme lui, boit plus que de raison, et trouve un écho à ses préoccupations existentielles dans les livres d‘Hemingway et de Kerouac. Jeune adulte, installé à Londres, il persiste à se réfugier dans l’alcool.  « Je ne pensais qu’à une chose, boire toujours plus. Pour la couche de peau manquante que cela me donnait. » Dans les années 1990, avec l’amour et l’arrivée de ses filles, quelque chose bascule enfin en lui. Mais comment être père quand on a manqué d’un père soi-même ? Quelle attitude adopter quand vous voyez votre enfant si espiègle s’enfoncer dans la souffrance ? Quelle réponse concrète apporter à votre fille adoptive quand celle-ci vous fait comprendre à l’adolescence qu’elle veut être un homme, qu’elle ne s’épanouira jamais enfermée dans un corps de femme ? De ses blessures d’enfant, de sa découverte de l’amour paternel, et des tourments identitaires de sa fille Jay, Howard Cunnell, tire un passionnant récit intime à la grâce formelle évidente, dans lequel il explore les  questions de la transmission, de la paternité et de la masculinité. Éd. Buchet Chastel, 240 p., 21 €. Élisabeth Miso