FloriLettres

Dernières parutions, édition décembre 2023. Par Élisabeth Miso et Corinne Amar

édition décembre 2023

Dernières parutions

Récits

Natasha A. Fraser, Harold ! Ma jeunesse avec Harold Pinter. Traduction de l’anglais François Rosso. Harold Pinter est entré dans la vie de Natasha A. Fraser l’année de ses  douze ans. D’emblée, elle a aimé cet homme, la sincérité de son intérêt pour elle.  En 1975, sa mère, la fameuse historienne et biographe Antonia Fraser, quitte Hugh Fraser, son mari et député conservateur aux Communes, avec qui elle formait un couple très en vue. Entre l’aristocrate à l’éducation protestante et le dramaturge juif, fils de tailleur, issu d’un quartier populaire de l’East London, c’est l’amour fou. Harold Pinter est alors au sommet de sa gloire. Directeur associé du National Theater, auteur encensé à Broadway, il vient d’achever le scénario du Dernier Nabab (1976) d’Elia Kazan. La haute société britannique s’offusque de cette union, les tabloïds se déchaînent. L’écrivaine s’est concentrée sur les dix premières années de son quotidien avec le prix Nobel de littérature 2005. Au contact de son beau-père, l’adolescente découvre le théâtre et le milieu artistique. Avec lui, la vie est synonyme de gaieté et de fantaisie. Elle se souvient de son élégance décontractée dans son peignoir en éponge ou ses pulls et pantalons noirs, de sa Mercedes décapotable gris argent, des stylos verts Pentel et des grandes feuilles de bloc-notes couleur paille qu’il utilisait pour écrire. Malgré un caractère explosif, surtout en matière de politique, lui qui avait le cœur résolument ancré à gauche, c’était un être d’une grande intégrité, d’une tendresse et d’une générosité infinies. « Autour de lui, les sentiments et les émotions qu’on éprouvait comptaient. On ne se moquait pas, on ne riait au visage de personne et personne n’était humilié. » S’il avait la dent dure contre les politiques, il admirait les créatifs et les acteurs. Peu importait l’origine sociale, à ses yeux seules primaient l’intelligence et l'humanité. Il chérissait ses amitiés stimulantes avec Beckett, Eric Kahanne, son traducteur français, Tom Stoppard, Joseph Losey ou Mike Nichols. Il avait la passion de son métier et de la vie, et c’est cette part intime de ce génie littéraire du XXe siècle que nous dévoile Natasha A. Fraser. Ed. Grasset, 256 p., 22 €. Elisabeth Miso

Essais

Couverture du livre de Siri Hustvedt, Mères, pères et autres

Siri Hustvedt, Mères, pères et autres. Traduction de l’anglais (États-Unis) Frédéric Joly. « Personne, aucun corps n’est fermé. Nous sommes des êtres ouverts sur l’extérieur, vivant parmi les autres et dépendant d’eux. Nous sommes tous nés du corps de quelqu’un. Aucun discours, aucune discipline de la pureté, aucun mur, aucun garde-barrière ni colosse quelconque ne changera quoi que ce soit aux vérités du mélange et du changement. » Avec son nouveau recueil d’essais, Siri Hustvedt bouscule comme à son habitude les préjugés et les diktats sociaux, interroge inlassablement notre perception du monde et les dangers que nous encourrons à ériger des frontières géographiques, physiques ou mentales. Qu’elle parle de création, de mémoire mouvante, de liens familiaux ou de patriarcat, on reconnaîtra ici sa pensée décloisonnée, son vagabondage intellectuel d’une discipline à l’autre. De livre en livre, elle tisse un réseau de réflexions aussi bien nourri de littérature, de philosophie, de psychanalyse, de neurosciences que d’histoire de l’art. À la lumière de sa conscience féministe, elle sonde « la camisole de force culturelle » qu’est la maternité dans nos sociétés occidentales. Depuis la Grèce antique, les stéréotypes sexuels définissent l’ordre des choses : le corps et les émotions sont du domaine féminin, l’esprit, la raison et la culture sont des attributs masculins. Une misogynie, qu’elle a pu notamment observer lors d’interviews qui minimisaient systématiquement son apport d’écrivaine. La question de la maternité est pour elle un miroir révélateur de la domination masculine et des injonctions sociales faites aux femmes. Elle se tourne vers sa propre histoire familiale, ses racines norvégiennes, et rend hommage à sa grand-mère paternelle et à sa mère qu’elle adorait. Siri Hustvedt convoque aussi d’autres mères spirituelles qui l’accompagnent comme Jane Austen, Emily Brontë ou Louise Bourgeois, dont les sculptures ont « fait se mêler le corps, l’esprit et le monde en gommant les frontières qui les séparent ». Par l’exploration des réalités complexes que suppose toute expérience humaine, ces femmes créatrices ont eu un impact décisif sur sa manière d’appréhender l’existence, les interactions humaines et l’art. Éd. Actes Sud, 384 p., 24,50 €. Elisabeth Miso

Mémoires

Couverture du livre Aimer sans savoir, être sans comprendre

Frederika Amalia Finkelstein, Aimer sans savoir, être sans comprendre.
« La fenêtre de la chambre s’ouvre sur Buenos Aires. Printemps floral et humide. Je suis couchée, mon cœur est lent, je n’ai pas confiance en ce cœur, le pouls semble détaché de l’organe. » Distillant sa mélancolie et son mal de vivre, ainsi s’ouvre le roman, que l’auteure définit plus largement comme une fiction, une errance, un rêve, un poème. À l’âge de vingt-trois ans, Frederika Amalia Finkelstein signait un premier roman tourmenté avec le monologue d'une jeune femme d'aujourd'hui habitée par la Shoah : son héroïne déambulait la nuit dans les rues de Paris, pour oublier. Neuf ans plus tard, avec un troisième roman, l’auteure creuse, dans les mêmes thèmes, les mêmes obsessions : le temps, la mémoire, la déambulation, l’oubli. La narratrice se réveille un matin de printemps dans une chambre d’où le lever difficile fait émerger les images de l’enfance et de l’Argentine. Dans la ville, c’est jour de deuil national pour le peuple : son footballeur vénéré, Diego Maradona, vient de mourir. Ce déchirement, l’auteure le ressent dans son corps, née avec une histoire dont elle ne peut se départir : le souvenir de son grand-père paternel fuyant la Pologne et « la montée du poison antisémite », pour l’Argentine, avec son fils, à la fin des années 1920 ; l’exil de sa mère en France où elle trouve refuge en 1981, afin de fuir la terrible dictature militaire responsable de la mort ou de la disparition, et de l’exil de millions d’Argentins. Sur les traces de sa construction identitaire, l’auteure interroge une nouvelle fois le mystère de ses origines et son lien fort à l’Argentine, le pays de sa mère, son pays. Les époques se superposent, elle voit resurgir les fantômes de la solitude, son tout jeune premier amour, la maison d’enfance à Miramar, au sud de Buenos Aires, les violences du monde… Elle questionne la pulsion de mort et le tragique, et cette force qui la pousse à maintenir l’espoir, la soif. Éd. L’Arpenteur, Gallimard, 133 p., 16 €. Corinne Amar

Biographies

Couverture du livre de Guy Boley, tire en blanc sur fond vert

Guy Boley, À ma sœur et unique. La jeunesse de Friedrich Nietzsche (1844-1900), génie précoce, eut pour cadre un univers féminin, celui de sa mère Franziska et de sa sœur, Elisabeth, de ses tantes et grands-mères, ayant perdu son père, pasteur, à l’âge de cinq ans. L’auteur revient ici sur les relations d’amour et d’emprise qui unirent Nietzsche devenu fou à sa sœur cadette de deux ans, Elisabeth Förster-Nietzsche (1846-1935). Elle vénéra son frère dès ses jeunes années, fut sa première lectrice, admiratrice ; plus tard, prit soin de son ménage à Bâle, fut près de lui, lorsqu’il tomba malade. Ils commencèrent probablement à s'éloigner l'un de l'autre, autour de 1878, quand Nietzsche, souffrant alors de violentes douleurs physiques et morales, fit paraitre Humain trop humain qu’elle trouva anti-chrétien. Si elle œuvra à la notoriété de son frère, philosophe, professeur, penseur, poète, elle le fit à son profit par-dessus tout, d’ambitieuse et d’opportuniste. Autoritaire, elle écarta Lou Andreas-Salomé dont Nietzsche était très amoureux, et en 1885, au grand désespoir de Nietzsche, elle épousait un journaliste antisémite, Bernhard Förster, proche de Richard Wagner. Le couple envisagea de fonder une colonie de pure race aryenne au Paraguay et de faire fortune. Lisbeth revint veuve et ruinée de la colonie Nueva Germania, et saisit alors l’immense potentiel de la notoriété de son frère, alité dans un déclin mental et physique des plus graves. « Depuis qu’elle a perdu son trône là-bas, au Paraguay, elle n’a qu’une seule idée : le reconquérir, mais en plus beau, plus haut, plus grand, plus noble. Son nouveau royaume : les écrits de son frère. Si elle ne comprend rien à la philosophie, elle a tout bien saisi du maniement des êtres. » Ainsi, se dévoile celle qu’on pensa aimante et dévouée, et qui fut au fond, une antisémite virulente, vénale, possessive, qui éloigna de son frère sa mère, ses amis les plus proches, et fut d’autant plus dangereuse qu’elle trahit, spolia les écrits et la pensée nietzschéenne. Éd. Grasset, 450 p., 24 €. Corinne Amar

Couverture du livre avec peinture représentant Madame de Sévigné

Geneviève Haroche-Bouzinac, Madame de Sévigné. Née en 1626, sous le règne de Louis XIII, la marquise de Sévigné côtoie les Grands de son temps : Louis XIV et madame de Maintenon, Fouquet, Turenne et Condé, La Rochefoucauld et madame de Lafayette. Célèbre comme chroniqueuse de la Cour, elle est devenue le modèle de l’écriture à la française. Son style naturel et alerte, son sens de l’observation ont fait de sa correspondance l’un des premiers témoignages sur le Grand Siècle. Derrière cette image, une autre femme mérite d’être découverte : l’orpheline heureuse, la jeune veuve qui affronte l’adversité dans une France belliqueuse, où règne la violence des duels et de la Fronde, la femme séduisante à la conversation espiègle, qui s’entoure des meilleurs écrivains, la tendre mère et la voyageuse intrépide, qui sillonne les routes entre Paris, la Bretagne et la Provence. Dans cette biographie attachante, Geneviève Haroche-Bouzinac dépeint madame de Sévigné et son monde, nous plonge dans son univers, au plus près de son entourage et de ses habitudes de vie. C’est dans ce mouvement du quotidien que se dessine la liberté de ses choix. « Précieuse » au sens où elle se donne du prix, elle participe au mouvement d’émancipation des femmes par la culture. De lettre en lettre, jouant avec les conventions, elle découvre à ses destinataires un moi en devenir, à un moment où l’identité féminine est en voie d’élaboration. Geneviève Haroche-Bouzinac, professeur émérite à l'université d'Orléans, est l'auteure de biographies remarquées, qui lui ont valu de nombreux prix. Son dernier ouvrage Louise de Vilmorin a été couronné du Grand prix de la biographie de l'Académie française en 2020. Spécialiste des correspondances, elle dirige la revue Épistolaire. Éd. Flammarion, 604 p., 26 €. Présentation de l'éditeur