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Lettres de condoléances envoyées à la mort du General de Gaulle. Par Gaëlle Obiégly

édition décembre 2020

Articles critiques

À l’occasion du cinquantième anniversaire de la disparition du Général de Gaulle, les éditions La nuée bleue le célèbrent précisément par le biais des célébrations qui entourèrent sa mort survenue le 9 novembre 1970. C’est le dernier grand homme de la Seconde Guerre mondiale à s’éteindre, après Roosevelt en 1945, Staline en 1953 et Churchill en 1965. Si le déroulé funéraire déploie une mise en scène soulignant la dimension historique du défunt, elle est aussi l’occasion d’une mise en relief, celle de la part humaine de De Gaulle. C’est ce que fait apparaître l’ouvrage de Frédérique Neau-Dufour et Stéphane Louis. À travers une quantité de lettres de condoléances, ils montrent du chef de la France libre et fondateur de la Vème République, un autre aspect. Celui d’un homme que la mort a rendu plus accessible aux Français.

L’hommage de la foule suit celui des pairs. Des cahiers de doléances sont ouverts. Des obsèques nationales sont retransmises à la télévision. Une photographie montre un attroupement devant la vitrine d’un magasin d’électroménager dans la ville de Metz. Les gens regardent la cérémonie. En cet instant de deuil national, se font face les officiels sur l’écran de télé et, dans la rue, des badauds attentifs et éplorés. La retransmission télévisuelle est une nouveauté qui prend place dans une tradition elle-même récemment instaurée. Dans les années 1960, le déroulé funéraire des grandes figures politiques vise à montrer la dimension historique du défunt par une mise en scène de son attachement à certaines valeurs et certains lieux. Le cercueil de Kennedy a été exposé au Capitole pour que la foule puisse s’y recueillir, le corps de Churchill a remonté la Tamise sur une barge, le chancelier Adenauer a fait son dernier voyage à bord d’un bateau sur le Rhin. Quant au cercueil du Général de Gaulle, il sort de La Boisserie sur un véhicule militaire pour gagner la petite église de son village en Haute-Marne. Les images sont filmées ; elles seront vues et revues par des millions de personnes gagnées par l’émotion des moments historiques. Les lettres qui font la matière de l’ouvrage décrivent l’attachement du peuple pour un chef d’État qu’il a pourtant décidé d’éloigner du pouvoir l’année précédente. Que ressent la population à la mort du Général de Gaulle, c’est ce que permet d’appréhender ce livre. Un commentaire étoffé s’organise en plusieurs chapitres où de nombreux extraits des lettres sont cités et leurs auteurs présentés plus ou moins brièvement. L’intérêt de cette lecture réside dans la description de la tristesse des Français et Françaises. On perçoit le chagrin comme celui éprouvé à la mort d’un proche mais aussi on sent la conscience d’un peuple qui voit se tourner une page d’histoire.

La Fondation Charles-de-Gaulle conserve vingt cartons de lettres adressées à Yvonne de Gaulle, devenue veuve le 9 novembre 1970. Que disent-elles ?

Dans le sacré, une multitude de personnes se reconnaissent dans une personne. C’est ce phénomène qui se voit ici. Chacun évoque sa relation au Général. Certains l’ont connu, fréquenté dans des situations très variées. Ils exposent leur rencontre ou leur point commun. Parfois, ils sont juste nés dans la même ville, ont fréquenté la même école, parfois ils ont travaillé ensemble, se sont connus lors d’une guerre ou d’une autre. Ainsi, aux formules de circonstances s’ajoutent des mentions personnelles, des détails biographiques qui créent un lien avec le disparu. Il s’agit tantôt de familles ayant un enfant handicapé, à l’instar du Général de Gaulle qui a choisi de reposer auprès de sa très aimée fille Anne, atteinte de trisomie 21. Au lieu d’une gerbe de fleurs, la délégation de l’union des jeunes pour le progrès dans le Nord-Pas-de-Calais adresse à Yvonne de Gaulle une somme d’argent destinée à la Fondation Anne-de-Gaulle. C’est une fondation créée en 1946 par l’épouse du Général de Gaulle pour prendre soin des jeunes filles handicapées mentales. Elle reçoit une quantité de lettres, il est difficile de dire si elle a pu les lire toutes. On sait en revanche quelles sont celles auxquelles elle a répondu car sur celles-ci figure au crayon bleu la mention « R » qui signifie « Répondu ». On ne sait rien, en revanche, des réponses personnelles qu’elle a faite à certaines lettres. Les lettres auxquelles elle a répondu émanent de personnes qui ont servi l’État sous Charles de Gaulle mais aussi ce sont celles où elle remercie des gens qui ont donné de l’argent à cette fondation qui accueille des jeunes handicapées au château de Vertcœur. Il y a aussi, parmi les correspondants auxquels Yvonne de Gaulle répond, des personnes caractérisées par une grande humilité. Elle a répondu notamment à Georgette Picherelle, infirme et veuve qui lui a écrit : « soyez certaine que je comprends votre grand chagrin. Je reste seule. »

Madame Fernand Poumay, de Verviers en Belgique, s’adresse, elle aussi, avec une humilité extrême à la veuve du Général de Gaulle : « Chère Madame, je ne suis rien. Une simple ouvrière pensionnée. Mais je ne puis résister au désir de vous présenter mes sincères condoléances. »

À côté des lettres de personnalités politiques, de nombreuses lettres témoignent de la très grande précarité sociale de leurs auteurs. Ils n’en sont pas moins désireux de dire avec gentillesse leur chagrin et l’attention qu’ils portent à celle qui fut, à leurs yeux, une sorte d’héroïne. Un héroïsme d’abnégation. Les gens s’adressent à elle avec compassion, certes, et beaucoup de respect, la considérant comme la gardienne de l’héritage gaullien. Une famille lui écrit : « vous êtes pour nous le vrai visage de la France. » En vertu de quoi, de nombreuses requêtes politiques lui sont envoyées alors qu’elle a toujours refusé de jouer un rôle dans la vie publique de son mari. On lui suggère de créer « une association du souvenir comme il en existe pour Napoléon ».

Le deuil a donc été radiophonique et télévisuel puis épistolaire. La nouvelle de la mort du Général de Gaulle s’est propagée par la radio. Dans les territoires français les plus éloignés, c’est par ce biais qu’on l’apprend. Monsieur B. écrit de Papeete le réveil brutal de la Polynésie à laquelle radio Tahiti a annoncé la triste nouvelle. En 1970, la télévision est très présente dans les foyers français. 70% des ménages sont équipés d’un poste. Le Général de Gaulle a su utiliser ce média lors de conférences de presse et de débats. La retransmission radiotélévisée de ses obsèques est une première dans l’histoire de la télévision française. Suite à cela un grand nombre de courriers sont adressés à sa veuve. Ce sont des Français de toutes origines sociales et de tous âges qui prennent la plume pour exprimer leurs condoléances. Chacun le faisant d’une manière personnelle, c’est une sorte de portrait de la société française en 1970 qui se dessine. « La Petite Française qui aime beaucoup le Général » et qui écrit : « je ne suis qu’une petite fille de neuf ans et demi. Je n’ai pas pu venir à Colombey-les-deux-Eglises pour les obsèques du Général, mais j’y ai participé devant le poste de télévision » n’est pas un cas isolé. Il y a de nombreux courriers d’enfants, ils constituent un fonds à lui seul. Leur ton est plus spontané que les lettres d’adultes. Le petit Michel présente son animal domestique auquel il a donné le nom du Général. Un petit poisson jaune qu’il a appelé Charles, en l’honneur de Charles de Gaulle. Un tendre hommage où respire celui d’une population.