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« Ces excellents Français. Une famille juive sous l’Occupation », Anne Wachsmann. Par Gaëlle Obiégly

édition novembre 2020

Articles critiques

Ce livre est étonnant. Il raconte la vie d’une famille juive à laquelle il n’est rien arrivé de tragique pendant la Seconde Guerre mondiale. L’auteure, Anne Wachsmann, qui est avocate, a étudié une masse de documents familiaux, principalement des cartes postales, pour en extraire un récit détaillé. À première vue, la valeur historique de ces documents n’est pas flagrante. Ils vont pourtant nourrir un exposé profond sur la situation des juifs en France pendant l’Occupation. Les lectures d’Anne Wachsmann viennent, en effet, enrichir sa connaissance de ces années noires qu’elle découvre par le biais d’archives infra historiques. Elle enquête à partir de cela. Grâce à sa méthode, qu’elle explique dans les premières pages du livre, elle va relier ces traces affectives à l’Histoire. Concrètement, ce sont des cartes postales d’enfant, pleine de gaieté, de tendresse. Comment s’inscrivent-elles dans les horribles années où elles ont été envoyées ? Anne Wachsmann va les considérer à l’aune de connaissances historiques acquises au fil de son enquête. Elle n’interroge pas seulement son père, l’émetteur essentiel des cartes postales, mais aussi des documents administratifs, et des ouvrages d’historiens. Ceci afin d’instruire rigoureusement son dossier et ses lecteurs.
C’est un livre qui porte d’abord son attention sur l’histoire du judaïsme alsacien. Car la famille s’y est installée au tout début du XXème siècle. On lira le détail de cette immigration dans le premier chapitre du livre. L’auteure a opté pour la chronologie. Les Juifs d’Alsace sont très attachés à la République. La raison en est claire : La Révolution française les a émancipés en 1791, leur donnant, pour la première fois en Europe, une citoyenneté de plein droit et de plein exercice. Les Juifs qui arrivent d’Europe centrale et orientale, découvrent l’égalité devant la loi. Les grands-parents d’Anne Wachsmann viennent d’Allemagne et de Pologne.

On pense au magnifique livre d’Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, en lisant celui d’Anne Wachsmann. Son influence y est d’ailleurs concédée et même louée. Le premier est le fruit d’une recherche universitaire, le second témoigne d’une pratique de la discipline historique non moins intense, bien qu’amateur. Avec toute la positivité que porte ce terme.
Qui sont les grands-parents ici ? Nous allons faire leur connaissance au fil des pages et avec plusieurs aspects de la réalité administrative qui dicte l’existence des Juifs pendant l’Occupation. Eux ont échappé aux arrestations. Cependant leur mode de vie a été affecté par la politique collaborationniste de Vichy.
Les personnages de ce récit familial résidaient tous à Strasbourg. La capitale de l’Alsace a été rendue à la France en 1918. L’histoire qui nous est exposée dans ces pages commence en 1939. Toutefois, il fallait au préalable retracer le parcours des grands-parents et décrire leur installation en Alsace. Sans noyer ses protagonistes dans une généralisation pseudo scientifique, Anne Wachsmann éclaire leur situation à la lumière de lectures scrupuleusement interrogées. Pour sortir du cercle strictement familial, il lui faut articuler cette micro histoire à celle des Juifs venus chercher en France l’égalité qui leur sera ôtée, ce dont il est question dans les chapitres suivants. Outre l’attachement que suscite cette famille auprès du lecteur, l’ouvrage est l’occasion de connaître d’autres livres, d’autres démarches, concernant la même séquence historique mais pas seulement. Anne Wachsmann ne se contente pas de placer une bibliographie en fin de volume, elle commente ses lectures et rend hommage aux historiens, historiennes, sans chercher à les concurrencer.
Les grands-parents Wachsmann ont pour nom Leopold et Liselotte. Après ces présentations formelles, Leopold devient Poldi. Et nous entrons dans l’intimité de la famille dont nous lisons des cartes postales qui, comme toutes les cartes postales, témoignent et de déplacements et de sentiments. Poldi est né en Pologne, à Auschwitz. Il est étonnant que cet homme qui échappe au funeste sort des Juifs soit né à l’endroit même où les autres périrent assassinés. Fils d’un commerçant, il deviendra avocat à Strasbourg. En septembre 1939, quand la France entre en guerre, Strasbourg, et toute l’Alsace, subit un traumatisme. Mais ce sera pire en juillet 1940 lorsqu’elle sera annexée par l’Allemagne. Ce qu’il se passe pour les Alsaciens en septembre 1939, le reste des Français le connaîtra en juin 1940 lors de la débâcle. L’exode jette sur les routes des millions de Français paniqués. L’évacuation des Alsaciens et Lorrains sur ordre daté du 1er septembre 1939 est moins connue. C’est le sort des Wachsmann et de leur fils Jean-Paul. Ayant quitté Strasbourg, ils vont séjourner confortablement à Néris-les-Bains dans l’Allier. Ce n’est pas loin de Vichy… Adolphe, le beau-père de Poldi, a été prévoyant, il a loué une villa dès le printemps 1939. L’a-t-il louée parce qu’il a pressenti l’évacuation de Strasbourg ? Ou par hasard ? L’ordre d’évacuation totale prévoit une répartition des Alsaciens sur le territoire français. Les Strasbourgeois sont affectés à la Dordogne. Alors l’exil des Wachsmann à Néris-les-Bains, dans l’Allier, est étonnant, là encore.
L’histoire de la famille a pu être reconstituée grâce à ce trésor constitué de 106 cartes postales trouvées par Anne Wachsmann. Elles apparaissent dans l’ouvrage avec des photos et d’autres documents. Mais c’est cette correspondance douce et laconique qui est la source primaire de son livre. À laquelle s’ajoute, on l’a dit, une étude fouillée de la Seconde guerre mondiale.
En raison de leur accent, les Alsaciens sont associés à l’ennemi, on les appelle « les boches ». Bref, si leur transplantation dans d’autres régions du pays est organisée et leur offre un habitat, l’accueil qui leur est fait par la population locale n’est pas toujours bien aimable. L’arrivée des Alsaciens peut être vécue douloureusement.

Les 106 cartes postales trouvées par Anne Wachsmann l’ont poussée à l’étude d’une quantité d’archives pour suivre l’existence de sa famille du début à la fin de la guerre. Ainsi, elle nous présente une carte d’identité ; celle de Poldi. Délivrée par la préfecture de l’Allier, le 13 novembre 1939, elle indique le lieu de résidence. Mais aussi le teint et la forme du visage. Dans des documents administratifs ultérieurs on prendra soin de mentionner aussi la forme du nez puis y figurera le tampon « juif ». L’attention portée aux documents administratifs contraste avec la gentillesse des cartes postales. La plupart ont au recto des dessins de poulbots, des chats, des chiens fripons. Cette correspondance enfantine permet au petit Jean-Paul de rester en contact avec son père. Poldi a quitté la villa de Néris-les-Bains pour aller chercher du travail à Marseille. Les choses se corsent. Car il est interdit aux avocats d’exercer leur métier. Le grand-père d’Anne Wachsmann va alors réussir à se faire engager comme inspecteur à la Fiduciaire de France de Marseille à l’été 1940. Wachsmann devient Willemain. D’autres membres de la famille entrent en scène dans les années qui suivent. Jusqu’au retour à Strasbourg en 1945.