FloriLettres

Discours des lauréats • Prix Wepler Fondation La Poste

édition décembre 2021

Portraits d’auteurs

Antoine Wauters, Mahmoud ou la montée des eaux,
Éditions Verdier
PRIX WEPLER FONDATION LA POSTE 2021

Bon, je vais faire simple et vous dire toute la joie que je ressens ce soir (je regrette d’ailleurs amèrement de ne pas avoir préparé un discours en bonne et due forme…). Joie de recevoir ce prix qui récompense un livre différent dans mon parcours : jusqu’ici, j’ai surtout écrit des fables, des dystopies, des livres dont l’histoire ne se passe ni vraiment ici, ni vraiment aujourd’hui.

Avec « Mahmoud ou la montée des eaux », j’ai voulu parler de la violence contemporaine en plongeant dans la réalité de la guerre en Syrie. J’ai voulu regarder cette réalité-là droit dans les yeux, sans m’en détourner. Et tout l’enjeu du livre, c’était, face à cette barbarie, aux tortures et aux mensonges de Bachar El-Assad, de donner la voix à un personnage qui serait au-delà de ces barbaries et de ces mensonges, quelqu’un qui propagerait une parole humaine et fraternelle, qui en finit avec les logiques de clan, les logiques guerrières. Mahmoud, c’est quelqu’un qui refuse l’idée cartésienne de se rendre « maître et possesseur de la nature « , que ce soit la nature humaine ou la nature tout court. Il sait, lui qui a tout perdu, combien cette soif de domination détruit le monde, piétine les vies.

Je crois qu’à une époque où il nous faut sans cesse choisir notre camp, être pour ou contre ceci, pour ou contre cela, une époque où l’art de la nuance semble à jamais perdu et où tout se polarise tellement, la voix de Mahmoud est salutaire. C’est une voix qui refuse cette logique binaire et qui cherche dans d’autres directions. Mahmoud est un vieux sage, un vieux fou, mais c’est aussi un poète. J’ai voulu écrire un livre poétique, parce que la poésie, pour moi, est non seulement ce qui peut tenir tête à la barbarie, mais ce qui permet de réintroduire du sens dans ce qui n’en a plus.

Mes pensées vont ce soir à tous les poètes syriens qui m’ont nourri et inspiré, et en particulier Saleh Diab, qui a réalisé une superbe anthologie qui leur est consacrée.
Mes pensées vont également au réalisateur Omar Amiralay, décédé juste avant les printemps arabes et qui a passé sa vie à filmer la Syrie baasiste. Mon livre doit beaucoup à son travail.

Je pense bien évidemment au peuple syrien, aux combattants et combattantes et à tous ceux qui ont essayé, et essayent encore, d’arracher un peu de liberté au chaos. Ce prix est pour eux. Il leur revient.

Merci à mes formidables éditrices de chez Verdier, Colette Olive et Michèle Planel. Merci à Pierre Astier et Laure Pécher, mes agents que j’adore. Merci à la Fondation La Poste – et là, j’ai une pensée émue pour mon grand-père, Papou, qui a été postier toute sa vie. Je remercie Marie-Rose Guarniéri et l’ensemble du jury. Vous me faites un immense cadeau en plaçant mon nom à la suite d’écrivains aussi incroyables, et notamment ces deux Marcel chers à mon cœur : Marcel Cohen, que je lis passionnément, et Marcel Moreau, qui fut le premier à m’encourager à mes débuts.

Bien. Assez parlé. Et si nous buvions, maintenant.


Laura Vazquez, La semaine perpétuelle,
Éditions du Sous-sol
MENTION SPÉCIALE DU JURY 2021

J’aimerais que mon livre parle et vous dise merci. Lui-même et seul.

Mais les livres ne parlent pas.

Ils ne s’émeuvent pas, heureusement ils n’ont pas d’attentes, car ils sont des morceaux de vérité, des parties du monde, comme les pierres ou comme le vent et comme : quelque chose en nous.

C’est avec ce quelque chose que nous écrivons.

Je voudrais remercier le jury du prix Wepler pour l’accueil offert à ce livre. C’est une très belle surprise. Merci à la librairie des Abbesses. Ce prix est une forme particulière d’encouragement qui donne du cœur et de la patience pour la suite, merci à vous.

Je tiens aussi à remercier mon éditeur, Adrien Bosc, pour son travail magnifique et sincère. Le catalogue des éditions du Sous-sol témoigne d’une recherche au plus près de ce qu’est la littérature aujourd’hui ; c’est une œuvre de construction, patiente et audacieuse, grâce à laquelle des livres comme La semaine perpétuelle trouvent leur endroit juste, leurs lecteurs et lectrices.

Merci aussi aux auteurs et autrices de tant de livres extraordinaires écrits à travers les millénaires qui m’ont appris au moins deux choses, mais dans le fond c’est une seule : ressentir profondément et écrire.

Et puis je remercie les êtres humains, car ils ont inventé l’écriture.

Ce livre est mon premier roman. Quand je l’ai commencé, en 2017, j’en attendais beaucoup – ce qui est à la fois la pire et la plus banale des erreurs.

Avec lui, j’ai dû apprendre à ne plus attendre, à savoir que je ne sais pas, à me retirer en tant que personne, à accepter l’incertitude, à laisser tout l’espace à quelque chose de plus important, de plus mystérieux et de plus puissant que moi

Je remercie ce livre, parce qu’il m’a transformée.

Il m’a mise à ma place.

C’est un sentiment qui me fait penser à une phrase de Mozart que j’ai lu il y a quelque temps.

Mozart, à la fin de sa vie, était un homme malade et fatigué, pourtant il travaillait encore.

Il faisait la musique.

Quand on lui demandait pourquoi vous ne vous reposez pas ?

Pourquoi vous continuez à composer ?

Mozart répondait :

« Je continue à composer parce que cela me fatigue moins que de me reposer. »

Je relis cette phrase :

« Je continue à composer parce que cela me fatigue moins que de me reposer. »

La vérité est simple.

Quand on fait dans la vie ce qu’on a à faire, la fatigue disparaît.

C’est l’endroit de nos vies où la fatigue disparaît.

On est soudain défatigués

Quand on lit un bon poème et qu’une ligne, une phrase, un vers nous touche, alors pour quelques secondes, il n’y a plus de fatigue.

Nous sommes en pleine vie.

De la même manière, quand on écrit la chose vraie, quand on a ce sentiment, pour quelques secondes, quelques minutes, il n’y a plus de fatigue.

Nous devenons ce que nous sommes, comme lorsque nous aimons.

Je vous souhaite de belles lectures encore et longtemps.

Et je vous souhaite, dans vos vies, de vrais repos, un endroit juste.

Merci.