FloriLettres

Dernières parutions, édition décembre 2018. Par Élisabeth Miso

édition décembre 2018

Dernières parutions

Par Élisabeth Miso, Corinne Amar et Gaëlle Obiégly

ROMANS

Emmelene Landon, Marie-Galante. Décembre 2016, Paul et Emmie découvrent l’île de Marie-Galante. L’éloignement, la solitude, le plaisir de se baigner dans une eau turquoise, de se régaler de poisson grillé acheté sur le marché, de contempler la géographie insulaire, tout les enchante. Paul et Emmie savourent ce temps suspendu, la joie d’être ensemble, de lire, de peindre ou d’écrire. Des vacances idylliques qu’ils renouvellent l’hiver suivant mais qui s’achèvent dans le fracas d’un accident de voiture. Paul meurt, Emmie est grièvement blessée. Entre ces deux voyages sur l’île caribéenne, une année d’un amour immense s’est écoulée qu’Emmelene Landon, écrivaine et peintre, restitue ici. Un jour qu’il évoquait sa fascination pour le roman de Patrick Lapeyre La lenteur de l’avenir, son compagnon Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur des éditions P.O.L, eut ses mots : « Le secret du dernier amour est de sortir du silence, de rompre le silence. Le dernier amour n’attend pas le bonheur, il est le bonheur. » Voilà qui ressemble fort à leur propre histoire, à cette vie commune faite de mouvement, de curiosité, de désir, d’écoute, d’incessants dialogues. L’auteur égrène des images de leur couple, les week-ends dans son atelier à elle, la semaine dans leur appartement. Elle laisse entendre par touches délicates des bribes de leurs échanges sur la littérature, le cinéma, la peinture, l’écriture. Séparés, ils s’écrivaient, s’envoyaient des SMS, des photographies, se languissaient l’un de l’autre. L’année retracée suit les activités de l’éditeur : son intérêt pour les manuscrits reçus par la Poste, les périodes de lecture dans sa maison de Nyons, les prix littéraires, le festival international de cinéma de Marseille, le salons du livre de Paris et Francfort, le montage et la présentation de son film Éditeur. « Tous les livres que je publie sont vivants, c’est comme s’ils avaient du vent dans les cheveux. », disait-il ou encore « j’entends la voix intérieure de tous les livres que je publie, sans qu’elle soit la mienne. » C’est cette présence et cette voix singulières, celles d’un homme tant aimé qui s’incarnent dans ces pages. Éd. Gallimard, 112 p., 10,50 €. Élisabeth Miso

Couvertures du livre d'Eve Babitz, Sex & Rage

Eve Babitz, Sex & Rage. Traduction de l’anglais (États-Unis) Jakuta Alikavazovic. Jacaranda Leven est une jeune californienne pour qui le paradis sur terre rime avec vagues et surf. Elle a grandi avec sa sœur April à Santa Monica et ne se sent à sa place qu’au bord de l’océan. La jeune femme libérée, qui se rêvait « peintre-aventurière » adolescente, embrasse les années soixante avec désinvolture au gré de ses expériences amoureuses, de ses rencontres, de sa consommation de drogue et d’alcool et des excentricités de la jet-set qu’elle fréquente. « West Hollywood dans les années soixante, quand la vie n’était qu’un long rock’n’roll, était facile à vivre (...) » Jusqu’au jour où une agent littéraire new-yorkaise réputée la remarque et la pousse à écrire son premier livre. « Jusque-là, elle avait traversé la vie en glissant, laissant la plupart des gens croire qu’elle n’était pas vraiment là, qu’elle ne se souviendrait pas de ce qu’elle avait vu, ou ne le comprendrait pas si d’aventure elle le retenait. » L’auteur a mis beaucoup d’elle même dans Sex & Rage et dans le parcours initiatique de Jacaranda. La fameuse photographie de Julian Wasser la représentant nue à vingt ans, jouant aux échecs avec Marcel Duchamp, apparaît ainsi au détour d’une phrase, accrochée à côté de toiles de Jasper Johns, de Rauschenberg, de David Hockney et de John Altoon, dans l’élégant appart-hôtel d’un des personnages fortunés et énigmatiques gravitant autour de Jacaranda. Tout comme son héroïne, Eve Babitz est née à Los Angeles et a baigné dans un milieu artistique et intellectuel. Son père était violoniste à la Twentieth Century Fox et son parrain n’était autre qu’Igor Stravinsky. Égérie de la scène artistique de la côte Ouest dans les années 1960-1970, elle a écrit des chroniques, des essais, des nouvelles et des romans et compte quelques célébrités parmi ses amants (Jim Morrison, Harrison Ford, Ed Ruscha, Walter Hopps). Paru à l’origine en 1979 et traduit aujourd’hui en français, Sex & Rage, dans une langue imagée et spirituelle, brosse le portrait d’une jeune femme emblématique de la contre-culture californienne. Éd. Seuil, 240 p., 20 €. Élisabeth Miso

RÉCITS

Couverture du livre Dévotions de Patti Smith

Patti Smith, Dévotion. Traduction de l’anglais (États-Unis) Nicolas Richard. « L’inspiration est la quantité imprévue, la muse qui vous assaille au cœur de la nuit. » Depuis l’enfance, Patti Smith connaît bien l’épaisseur particulière que donne à l’existence une « imagination brûlante ». De livre en livre (Just Kids National Book Award en 2010 qui racontait son histoire d’amour avec Robert Mapplethorpe et ses débuts artistiques à New York, Glaneurs de Rêves, M Train), l’icône du rock explore les méandres de sa vie psychique et de sa créativité. Qu’est-ce que l’inspiration ? D’où vient le « vertige inattendu mais familier (qui l’) assaille, une intensification de l’abstrait, une réfraction de l’air mental » ? Pourquoi écrit-on ? Dans Dévotion, sorte de journal intime, où s’interpénètrent éléments réels et inventés, elle sonde le processus mystérieux de l’écriture, ce besoin irrépressible de s’asseoir devant une page blanche pour y accueillir ce que lui dicte son imagination. Invitée par son éditeur français, elle s’envole pour Paris avec pour compagnons de voyage la monographie de Plessix Gray sur Simone Weil et Un pedigree de Modiano. De sa chambre d’hôtel, elle peut contempler l’église de Saint-Germain-des-Prés et le petit square attenant où elle s’asseyait au printemps 1969 avec sa sœur. Les deux jeunes femmes arpentaient alors les rues parisiennes pour la première fois, sur les traces des existentialistes, de Rimbaud, de Verlaine ou de Baudelaire, « Juste pour être près de là où ils avaient écrit, s’étaient disputés et avaient dormi. » On la suit à Sète dans le cimetière marin où repose Paul Valéry, à Ashford en Angleterre sur la tombe de Simone Weil puis à Lourmarin dans la maison d’Albert Camus où sa fille Catherine lui présente le manuscrit du Premier Homme. Dans le train Paris-Sète, prend forme la nouvelle insérée au centre du livre, qui met en scène la relation vénéneuse entre une adolescente brillante, orpheline estonienne, élevée par sa tante, passionnée de patinage artistique et un marchand d’art quarantenaire. Un récit fictif où se reflètent le visage de Simone Weil, la bande-annonce de Risttuules : La Croisée des vents, le film de Martti Helde sur la déportation de milliers d’Estoniens en Sibérie par Staline ou des images de patinage artistique vues à la télévision. Un texte aux multiples sources d’inspiration, révélateur de l’alchimie à l’œuvre dans l’imaginaire de la chanteuse et poétesse. Éd. Gallimard, 160 p., 14,50 €. Élisabeth Miso

CORRESPONDANCES

Couverture du livre Mon Jeune grand-père de Philippe Annocque

Philippe Annocque, Mon jeune grand-père. Philippe Annocque a découvert un paquet de cartes postales écrites par son grand-père pendant la Première Guerre mondiale. Il s’en est emparé. Il donne une lecture scrupuleuse de ces cartes, comme s’il en était le destinataire. Il en scrute tous les aspects ; matériel, scripturaire, historique, existentiel. Ce sont pourtant des nouvelles monotones envoyées par un jeune homme à ses parents. Ceux-ci devaient les attendre et lire ces cartes avec précaution, cherchant sans doute à lire entre les lignes ce que le captif, tombé aux mains de l’ennemi, ne pouvait pas dire. Les cartes étaient, en effet, soumises à la censure allemande. Ce ne sont pas les tourments, les atrocités de la guerre qui sont ici relatées. Pas de tranchées, pas de combats, pas de tirs, pas de morts. Il n’est pas au front, mais prisonnier. C’est une autre version de la guerre ; l’attente, le vide. La particularité du livre de Philippe Annocque tient à ce qu’il s’immisce littéralement dans le courrier d’Edmond, commentant de diverses manières la prose resserrée du sous-lieutenant détenu dans un camp de prisonniers pour officiers à Posen (ou Poznan). Il reconduit ainsi le vif intérêt que ces cartes ont dû susciter, ainsi que leur partage avec la famille, chez les « chers parents » auxquels elles sont adressées par Edmond. Leur auteur et celui du livre portent le même nom. Ils ne se sont jamais connus réellement. Mais c’est aussi à un petit-fils qu’il ne connaîtra pas qu’Edmond Annocque, à son insu, donne des nouvelles. Philippe Annocque a accès à ce jeune grand-père, mort bien longtemps avant sa naissance, par les quelques traces laissées. Ces cartes postales, donc, mais aussi des objets fabriqués par Edmond lors de sa captivité. Ces objets mentionnés dans les cartes, vus, touchés par l’auteur du livre, durant son enfance, révèlent ici leur origine. Les cartes sont écrites au crayon à papier, sont par endroits illisibles. Les ratures, les fautes d’orthographe et les surcharges en violet, laissant supposer l’intervention de la censure qui fait disparaître certains mots, mais aussi les noms propres sont interrogés par Philippe Annocque. Son imagination tout autant que son insuffisance participent à la vivacité de cette lecture d’archives. Il ne fait jamais l’impasse sur ce qu’il ne comprend pas, sur ce qu’il ne peut pas savoir, sur ce qui lui échappe. Et c’est précisément ce qui fait la richesse de son livre. Éd. Lunatique, 196 p., 20 €. Gaëlle Obiégly

Couverture du livre Paroles de facteurs

Jean-Pierre Guéno, Paroles de facteurs. Il a créé la collection « Paroles de... », en 1998 (Arcades), avec Paroles de Poilus, s’attachant aux témoignages des Poilus de la Guerre de 1914 qui avaient vécu l’enfer du front et qu’on avait oubliés, après avoir lancé un appel aux Français, pour recevoir des témoignages ; autant de lettres, de documents reçus qu’il lut, tria, sélectionna, mit à la lumière, fit publier ; puis, sont nées Paroles d’étoiles (sur l’histoire des enfants d’origine juive cachés entre 1942 et 1944), Paroles du jour J (sur le débarquement) ou Paroles de détenus, (sur le monde carcéral), ou encore, Paroles de femmes, Paroles d’enfance, et autres Paroles de..., autant de témoignages de ceux qui font l’histoire – héros connus, inconnus, sans grade, à la lumière ou dans l’ombre. Passionné d’histoire, il a publié des ouvrages qui compilent et valorisent les lettres, les carnets, les journaux intimes, les archives privées : aujourd’hui, Jean-Pierre Guéno, qui est administrateur des PTT et arrière-petit-fils de facteur rural publie Paroles de facteurs, dont le sous-titre, Éloge sentimental de la lettre et de son messager, donne bien le ton qui, en dix chapitre, célèbre la parole de facteurs connus, d’Antoine de Saint-Exupéry au Facteur Cheval, à commencer par le facteur de Van Gogh – Joseph Roulin qui nous raconte comment, à Arles, en 1888, il a rencontré Van Gogh, au Café de la Gare, comment il est devenu « son facteur » et aussi son modèle, enfin, son ami (interview imaginaire d’après les Lettres de Vincent Van Gogh). On apprend que Bachelard fut « facteur avant de devenir le philosophe du savoir » ; un autre chapitre nous fait entendre les paroles sur les facteurs à travers la littérature et la chanson, de Maupassant à Moustaki (qui eut à faire du porte à porte pour vendre des livres de poésie) en passant par Tino Rossi, Michel Fugain, Calogero, avant de donner aussi la parole à des facteurs d’hier, d’aujourd’hui, et d’imaginer ceux de demain. Éd. Hugo & Cie, 260 p., 17,50 €. (Avec le soutien de la Fondation La Poste) Corinne Amar.
Disponible pour les postiers depuis le mois de novembre 2018. En librairie en avril 2019.

MÉMOIRES

Couverture du livre Nagori de Ryoko Sekiguchi

Ryoko Sekiguchi, Nagori, La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. « Les Japonais entretiennent avec les saisons une relation particulière, c’est bien connu. Moins connue, en revanche, est cette notion qui mérite d’être évoquée, et que l’on pourrait appeler vie d’une saison », nous précise l’auteur. Le mot Nagori (étymologiquement : le nom qui reste), en japonais, signifie la trace de ce qui reste, délicate, semblable à une empreinte de vagues (le sillon immatériel dessiné par la vague, mais aussi les algues, coquillages ou morceaux de bois) sur le sable après qu’elles se sont retirées de la plage. C’est ainsi une méditation, à la fois, journal et dialogue ; une réflexion autour de la notion proprement japonaise mais aussi, universelle de « saison », de ce que fait la rencontre entre les ingrédients et la nostalgie subtile, consciente de ce qui est encore mais va disparaître, au sens large du terme. Nostalgie de la séparation, de la saison qu’on ne laisse partir qu’à regret, cette mélancolie qui prend lorsque l’on sait que, telle une fleur de cerisier sur un arbre, la neige épaisse sur un trottoir, tout va disparaitre aussitôt. Elle s’interroge sur le mot saison et ses dérivés ; arrière-saison, hors saison, de saison... Poétesse, traductrice, critique gastronomique, Ryoko Sekiguchi, à qui l’on doit quelques autres petits traités de poésie gastronomique, nous régale avec ces courts chapitres sur l’empreinte fugitive des goûts et des saveurs dans le corps et le souvenir, dans les paysages, dans la littérature. Elle nous rappelle ce moment où l’on se remémore, une fois la saison achevée, ce qu’a été la saison en nous... Jusqu’aux retrouvailles, la saison suivante. Éd POL, 140 p., 15 €. Corinne Amar