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L’abbé Mugnier, Correspondance (1891-1944). Par Gaëlle Obiégly

édition mai 2023

Articles critiques

S’il vivait à notre époque, l’abbé Mugnier serait probablement invité au festival de Cannes ; on le verrait entouré de vedettes et d’affection. En d’autres temps, il était l’hôte choyé du beau linge. L’abbé Mugnier était une figure emblématique du Paris littéraire et mondain de la première moitié du XXe siècle. Né en 1853 en Corrèze, il quitte sa région natale après la mort de son père pour s’installer à Paris. Sous l’influence de sa mère, il choisit de devenir prêtre. Il est ordonné en 1877.

Dès ses débuts en tant que vicaire à la paroisse de Notre-Dame-des-Champs, l’abbé Mugnier commence à tenir un journal dans lequel il raconte des anecdotes et des traits d’esprit du Paris de l’époque. Ce journal est devenu une chronique du monde littéraire et mondain de la ville. Il y consigne également ses rencontres et ses réflexions. Son journal et sa correspondance témoignent de sa passion pour la littérature et de son admiration pour ses « grandes âmes » : Chateaubriand, George Sand, Alphonse de Lamartine et Victor Hugo.

L’abbé Mugnier, à son époque, était connu pour sa vie mondaine et ses relations avec les hautes sphères de la société. Il était fréquemment invité dans les salons de la comtesse Greffulhe, dont Proust s’est inspirée pour créer le personnage de la duchesse de Guermantes. Nombre des courriers présents dans ce volume ont trait à des invitations. L’abbé faisait la fortune des dîners. Il a fréquenté aussi Léontine Arman de Caillavet et sa fille Jeanne Pouquet, Anna de Noailles et la princesse Bibesco, entre autres. Il était l’hôte adoré de nombreuses réceptions. On l’avait surnommé « le confesseur des duchesses. » Malgré son aspect déconcertant de curé de campagne avec sa soutane élimée et son chapeau tricorne, tel qu’on peut le voir dans les illustrations qui garnissent ce livre, il était apprécié pour sa modestie, sa sensibilité et sa fraîcheur d’âme. Jeanne Arman de Caillavet lui écrit ceci : « Il me reste encore d’étranges choses à faire où votre expérience, votre tact, votre bonté et vos conseils me seront précieux. Ah ! comme je voudrais que vous reveniez bientôt ! Et comme nous devons être nombreux à Paris à vous attendre avec la même impatience. » Ce sont souvent des compliments qui lui sont adressés, particulièrement par des femmes.

L’abbé Mugnier était également sollicité pour des services religieux, tels que les baptêmes, les communions et les mariages. Il bénissait les mariages de nombreuses personnalités de l’époque, jouant parfois même les entremetteurs, notamment pour aider la comtesse Greffulhe à marier sa fille. Il pouvait aussi intervenir pour réconcilier des couples en difficulté. Il accompagnait également des malades sur leur lit de mort, recueillant leurs confessions et leur donnant l’absolution. Au sujet des derniers instants de la poétesse Anna de Noailles, morte en 1933, l’abbé Mugnier écrit ceci : « Les choses qu’elle me disait étaient si belles !... Que voulez-vous, j’ai risqué l’absolution ! » En revanche, lorsqu’il se présente auprès du peintre Alfred Stevens, à la demande de la comtesse Greffulhe, il est éconduit par l’artiste mourant. Il en rend compte, sans lui en faire reproche, dans une lettre à la duchesse qui l’avait mandaté.

Sa correspondance reflète aussi ses préoccupations religieuses et sociales. Il critiquait sévèrement l’Église pour son manque de tolérance et soulignait l’importance de la charité dans la pratique de la religion. Il regrettait que l’institution religieuse se soit tellement éloignée de l’Évangile, comme il l’écrit à Lina Sand, belle-fille de George Sand. Il exprimait des opinions sur des sujets tels que l’affaire Dreyfus, la loi sur les associations et la Première Guerre mondiale.

Malgré sa réputation de mondain, l’abbé Mugnier était un homme d’une grande intégrité intellectuelle. Sa correspondance révèle une personnalité plus complexe que ce que la postérité a bien voulu retenir. Son amour pour la littérature et son dévouement envers les autres étaient au cœur de sa vie et de son ministère. L’abbé Mugnier est resté une figure marquante de son époque, entretenant des amitiés avec des écrivains comme Jean Cocteau, Paul Valéry, Marcel Proust, la poétesse Louise de Vilmorin, et bien d’autres personnalités du Paris littéraire et mondain. Les correspondances avec chacun, chacune, ont été organisées par « familles » de correspondants, puis de façon chronologique. Ce mode de classement permet de suivre le déroulement des faits et d’éclairer chaque lettre par des recoupements.

On observe que l’abbé Mugnier était un homme exceptionnellement aimé et respecté par tous ceux qui le connaissaient. Certaines des lettres rapportent les propos très favorables qu’il suscite. Sa fonction principale était celle de prêtre au sein d’une petite paroisse, mais il était bien plus qu’un simple homme d’Église. Il était un guide spirituel, et un soutien inestimable pour sa communauté. Top of Form

Tout d’abord, l’abbé Mugnier était connu pour sa bienveillance et son amour inconditionnel envers son prochain. Il était toujours prêt à écouter les autres, à les soutenir dans les moments difficiles et à leur offrir des conseils avisés. Son empathie et sa compassion étaient profondes, et il avait la capacité de comprendre les tourments de chacun, quel que soit leur nature.

En outre, l’abbé Mugnier était un modèle d’humilité. Malgré sa position de pouvoir, il ne cherchait jamais à se mettre en avant ni à exercer son autorité de manière imposante. Au contraire, il se considérait comme un serviteur de Dieu et de sa communauté mettant en pratique les enseignements du Christ sur l’humilité et le service des autres.

Sa simplicité et sa sincérité étaient des traits appréciés par tous. L’abbé Mugnier n’était pas intéressé par la gloire ou la reconnaissance personnelle. Il se contentait de vivre sa foi avec authenticité et de partager sa sagesse de manière humble. Sa parole était claire et compréhensible pour tous, et il savait trouver les mots justes pour toucher les cœurs et inspirer la réflexion. C’est ce que révèle sa correspondance.

Un autre aspect qui rendait l’abbé Mugnier un homme si aimé était sa disponibilité constante. Même si la quantité d’invitations qui lui sont adressées l’obligeait à les décliner la plupart du temps, il était toujours présent pour sa communauté, que ce soit pour célébrer des messes, visiter les malades, accompagner les familles en deuil, ou simplement partager des moments de convivialité. Il n’hésitait pas à consacrer son temps et son énergie pour répondre aux besoins des autres, offrant ainsi un soutien spirituel et émotionnel à ceux et celles qui en avaient besoin.

Enfin, l’abbé Mugnier était un modèle de foi vivante. Il rayonnait d’une profonde spiritualité et d’une confiance en Dieu. Son enthousiasme poussait ses interlocuteurs à renforcer leur propre relation avec le divin. Sa vie exemplaire et son dévouement sans faille à la prière et à la pratique des valeurs chrétiennes étaient une source d’inspiration pour tous ceux qui l’entouraient.

En somme, la fonction de l’abbé Mugnier allait bien au-delà de ses devoirs religieux. Il était un véritable guide spirituel, un confident même pour les non croyants et un ami pour tous ceux qui croisaient son chemin. Son influence positive sur la vie des gens est indéniable, et sa mémoire est restée gravée dans les cœurs de ceux qui s’estimaient chanceux de le connaître.