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Correspondances de Max Jacob. Par Gaëlle Obiégly

éditions janvier 2024

Articles critiques

En 1960, Max Jacob a été élevé, à titre civil, au rang de « poète mort pour la France ». Cela sonne étrangement. Max Jacob n’est-il pas plus précisément mort de la France ? Persécuté par un État français collaborant avec l’occupant nazi, ce poète que « la jeunesse française regarde vivre comme un exemple », selon Jean Cocteau, meurt au Judenlager de Drancy dans la nuit du 5 mars 1944. Max Jacob fut un poète français, breton, homosexuel, catholique mais il est mort d’avoir été juif.

Les Cahiers Max Jacob 23-24 rendent comptent des correspondances de Max Jacob avec de multiples personnalités, amis, disciples, notamment Paul Éluard, C.-A Cingria, Francis Carco, Paul Morand, Jacques Mezure. Ces nombreuses relations, amitiés avec des figures influentes, ne lui auront été d’aucun secours au moment de son arrestation à St Benoit-sur-Loire en vue d’être déporté à Auschwitz. Il meurt à Drancy d’un collapsus cardiaque peu après avoir vu partir son frère et sa sœur Myrté-Léa à Auschwitz. Le jour de son arrestation, Jean Cocteau a rédigé et diffusé une pétition dont l’effet sera nul pour faire libérer Max Jacob. Dans son texte, Cocteau insiste sur l’intensité artistique de son ami habité par la poésie, elle « s’échappe de lui, par sa main, sans qu’il le veuille. Avec Apollinaire, il a inventé une langue qui domine notre langue et qui exprime les profondeurs. »

Les nombreuses pièces qui forment la correspondance de Max Jacob représentent un corpus foisonnant d’éléments pour comprendre l’écrivain et son œuvre. Ces témoignages, cependant, ne doivent pas être traités comme des vérités absolues. Car Max Jacob adapte son discours à son destinataire, mais également à son humeur du moment. Du reste, cette plasticité peut s’observer chez nombre d’auteurs. Ainsi, des chercheurs, chercheuses, ont eu recours à la correspondance de Max Jacob pour approfondir leurs travaux sur sa poétique.

Par exemple, dans un texte passionnant, Laura Costa, se penche sur les lettres de Max Jacob à Jacques Mezure pour creuser son étude de la comparaison dans l’esthétique jacobienne. Elle s’appuie sur un ouvrage, Lettres à un jeune homme, publié en 2019 aux éditions Bartillat. Il s’agit d’un recueil de cinquante-et-une lettres entre Max Jacob et Jacques Mezure. Qui est ce jeune homme ? C’est un ingénieur qui s’intéressait beaucoup à la littérature et à l’art. Ces lettres nous permettent de mieux connaître les dernières années de l’auteur du Cornet à dés : nous y découvrons de nombreux détails de son quotidien entre 1941 et 1944. Un certain nombre de propos y composent une riche synthèse de son esthétique. Au fil de ces lettres, Laura Costa s’emploie à comprendre les enjeux de la comparaison. Ce travail met en lumière la pratique associative de Jacob. Le poète pratique un double regard, l’un est dirigé vers soi, au plus profond, et l’autre vers l’extérieur. L’intérêt des comparaisons jacobiennes n’est pas circonscrit à son œuvre poétique et à ses lettres à un jeune disciple. Dans ses romans, les comparaisons jouent aussi un rôle important. Les auteurs modernistes utilisent ce procédé analogique et lui donnent une nouvelle importance par rapport à la métaphore historiquement privilégiée. Grâce à la tension engendrée par le marqueur – comme, tel que ou autre – ce sont davantage les différences entre comparant et comparé qui sont mises en évidence plutôt que leurs similarités. Cela engendre une série d’effets inattendus.

Les découvertes poétiques de Max Jacob précèdent-elles le surréalisme ? Il garde une rancœur envers les membres du mouvement depuis la parution de leur Manifeste en 1924. Son amitié, tardive, avec Paul Éluard est donc intéressante à observer. Elle est l’unique témoignage d’une amitié entre Max Jacob et un surréaliste. Cette analyse de leur relation à travers leur correspondance, on la doit à Patricia Sustrac, présidente de l’association des Amis de Max Jacob. Les travaux qu’elle consacre à son œuvre sont particulièrement orientés sur son art épistolaire. Dans cet article est soulignée l’importance de l’échange de lettres avec Paul Éluard. Car elles ont permis de reconstituer la genèse du poème emblématique de Jacob « Amour du prochain » dont la version initiale est envoyée le 12 août 1942 à l’auteur de Capitale de la douleur. Cette relation intervient tard dans la vie de Jacob qui meurt en 1944. C’est alors l’esthétique des toutes dernières années qui est abordée, bien plus qu’abordée, dans l’article sur cette correspondance Éluard/Jacob. Éluard, « le vrai poète », « l’ultrasensible », selon les mots de Jacob, ne peut qu’être réceptif aux notions présentes dans les lettres où il tente de cerner le « mot-plaie », le lyrisme, le chant poétique. Le lyrisme est un cri, non une description dit-il, dans d’autres lettres. Car elles sont nombreuses et les destinataires multiples appartiennent aux différentes périodes de la vie de Max Jacob. Personnage de la bohème montmartroise au début du XXe siècle, aux côtés de Picasso dont il fut le premier ami, il a ensuite participé aux avant-gardes artistiques, fréquenté Montparnasse, connu les Années folles, découvert le cubisme, choisi le catholicisme et s’est retiré à Saint-Benoit-sur Loire pour y mener une vie de paysan. Mais, s’il n’avait été emmené au camp de Drancy, son existence aurait peut-être eu d’autres épisodes en d’autres lieux, en d’autres milieux. Et son épistolaire se serait encore développé. Sa correspondance est importante quantitativement, comptant 7600 lettres. Elles sont objet d’étude, on l’a dit, pour les experts et certains admirateurs de Max Jacob qui a, d’ailleurs, fait de la poste le sujet d’une très courte nouvelle. Elle s’intitule Le Facteur-assureur. On peut la lire dans ce volume des Cahiers Max Jacob avec le réel d’où naît ce texte. Ainsi il raconte ses tribulations au bureau de poste à Liane de Pougy. C’est une femme au parcours picaresque : autrice, danseuse, courtisane à la belle-époque, devenue princesse. Puis dominicaine, elle s’est retirée, à l’instar de Max Jacob.

Ce volume des Cahiers Max Jacob comprend plus de huit cents pages. Il est très riche. Son index rend compte de la quantité de personnages croisés au fil de la lecture. Ce sont principalement des études sur telle ou telle correspondance de Max Jacob mais il y est aussi question de textes. Du Cabinet noir, notamment. Ce livre un recueil de lettres avec des commentaires. Parmi tous les personnages du recueil, trois individus atypiques incarnent des modèles positifs de conduite morale. Ce sont Octavie Loiseau, le sergent de « Lettre d’un sergent », et l’abbé X. Ces personnages sont emplis d’une force morale qui s’exprime dans leurs actions ou dans un enseignement. Ces textes résonnent avec les convictions morales de Jacob dont l’éthique est soulignée dans plusieurs contributions de l’ouvrage. Autant que son penchant satirique. Ce qui unit les deux versants de Max Jacob, à savoir la satire et l’éthique, est la faculté critique. Celle-ci, orientée vers l’intérieur, peut améliorer la condition humaine. C’est cet « état de sensibilité » qui est à l’œuvre chez Max Jacob, dans sa vie comme dans ses productions littéraire et épistolaire.