FloriLettres

Lettres choisies - François Truffaut & Helen Scott

édition avril 2023

Lettres et extraits choisis

« Mon petit Truffe, ma grande Scottie »
François Truffaut & Helen Scott © Éditions Denoël

Helen Scott à François Truffaut

Le 3 février 1960

Mon cher François,

Couv correspondance Truffaut et Helen Scott, fond vert et photo noir et blanc de Truffaut et Helen Scott, assis.

François Truffaut et Helen Scott
« Mon petit Truffe,
ma grande Scottie »

Correspondance, 1960-1965
Denoël, 3 mai 2023
Avec le soutien de la Fondation La Poste

L’orage est mort-né : Frankel est reparti immédiatement à Dayton, c’est-à-dire qu’il n’y a eu aucune conversation avec lui ; tout mon bureau, Maternati compris, a été charmant avec moi. L’agence de publicité de Frankel a téléphoné pour dire qu’ils sont extrêmement satisfaits des résultats publicitaires de votre passage ici, exprimant leur appréciation quant à votre coopération très compréhensive, ainsi que de la mienne. Tout est bien qui finit bien.
Lillian Ross vous envoie les photos et me demande particulièrement de l’excuser de la qualité qui est très en dessous de ce qu’elle fait généralement. Je suppose que vous avez répondu au câble que nous vous avons envoyé ; son article paraîtra d’ici deux semaines.
1) Martin LaSalle me demande si vous n’avez pas accidentellement emporté les photos de Pickpocket qu’il se proposait de garder ici et qu’il avait mis[es] dans un paquet à part. Si oui, pouvez-vous les renvoyer à New York ?
2) Herman Weinberg vous envoie ses compliments et sera à Paris au mois de juillet.
3) Je crains bien que vous [ne] soyez une des rares victimes de la crise algérienne, voir le reportage dans Paris Match.
4) Par contre, j’ai eu hier une conférence de travail avec les éditeurs de Life International, pour les convaincre que la Nouvelle Vague allait continuer à faire de belles choses en 1960, et pour les informer sur les réalisateurs (en dehors de vous-même, Chabrol et Resnais) qui avaient de l’avenir. J’ai fortement appuyé Godard et Rivette. Pourriez-vous me faire parvenir un maximum d’informations et de photos sur eux et m’indiquer lesquels, parmi les projets de production courants, pourraient avoir un succès, retentissement ou même être sélectionnés pour Cannes ? Cette question, à laquelle vous ne pouvez répondre avec exactitude, est simplement un conseil personnel que je vous demande, afin de guider un peu ma perspective.
5) J’arrange des choses pour LaSalle et vais faire un effort pour Godard. Cela m’est d’autant plus facile que son film a été acheté ici. Demandez-lui de m’envoyer au plus vite des photos et de la documentation. Tout ce qui concerne la production du film est très utile.
6) Voici un modeste topo paru dans Variety d’aujourd’hui. Anticipant votre question, le même journal indique, dans la colonne des recettes : « La 11e semaine, incluant le dimanche 31, s’est élevée à la somme impressionnante de 10 500 $, suite aux 8 000 $ de recettes de la semaine précédente. »
7) Dans les deux boutiques principales, j’ai pu trouver le livre de Saroyan que vous vouliez pour votre femme. Je continuerai à chercher. En attendant, Lillian Ross s’est acheté un stock de petites poupées, et moi aussi. Je vous en enverrai un lot, éventuellement, et éventuellement le magasin vous permettra un pourcentage sur leurs bénéfices.
8) Quelques-uns des gags que vous m’avez racontés m’ont donné l’idée de faire un topo, pour ma prochaine publication, sur l’humour de la Nouvelle Vague. Évidemment, je manque de matériel et vous êtes trop surmené pour y penser. Mais, si vos collaborateurs pouvaient me dénicher un ou des articles sur l’humour dans les films français, etc., cela me donnerait un point de départ et je vous en serais très reconnaissante.
(...)
Finalement, il est possible que mon patron fasse prochainement un petit tour à Paris, et j’espère que vous avez gardé mes commérages pour vous. Ça pourrait me retomber sur le nez.
Cela m’ennuie de vous envoyer une lettre d’affaires que vous recevrez le jour de votre anniversaire. Évidemment, c’est un témoignage comme un autre, mais encore… Je penserai à vous le 6 et j’irai boire un coup à votre santé, à votre bonheur, votre succès, et notre amitié. J’espère que vous avez réussi à consoler René Clot (votre ami, mais non le mien) des baisers que je lui ai envoyés par erreur, et qu’il n’y a pas eu de conséquences graves pour son bonheur conjugal.
Helen

François Truffaut à Helen Scott

De Paris ce mardi 29 mars [1960], le soir tard

Ma chère Helen,
Ne croyez pas que votre lettre m’ait vexé (celle des explications). C’était une lettre (la mienne) dictée à Lucette ; en la relisant avant de la signer, je m’étais bien rendu compte qu’elle était trop impersonnelle, d’où les quelques lignes manuscrites ajoutées à la hâte. Mais vous avez raison de m’engueuler car j’avais tendance à me laisser aller à cette facilité : dicter tous les matins quelques lettres pour « expédier les affaires courantes » et me donner ainsi l’impression à moi-même que je suis un big businessman, un self-made-man, un homme de first quality, que sais-je encore ?
Bref, grâce à vous, je vais me conduire mieux, je reprends l’habitude de taper moi-même quelques lettres à la maison, et mes amis provinciaux ou étrangers vont se demander pourquoi je deviens si affectueux sans se douter qu’ils doivent cela à Helen Scott, ma chère Helen.
Comme je suis à la maison, je n’ai pas vos lettres sous les yeux, c’est pourquoi ma réponse ne sera guère méthodique, à moins que je ne termine la présente que demain au bureau…
Naturellement, vous allez recevoir très vite la documentation sur le Pianiste. À propos d’Oscar, il y a tout de même un petit espoir du côté du « meilleur scénario original », non ? Oui, Godard triomphe et j’en suis bien heureux. Pour Cannes ? Cela se passe actuellement entre À bout de souffle, Le Dialogue des carmélites, Le Trou (hors compétition), Paris nous appartient, L’Amérique vue par un Français. Je vais tâcher de vous faire envoyer des photos dès demain de ces films.
Je suis allé à Londres pour la sortie des 400 Blows ; je crois que ça marche bien, mais je n’ai aucune nouvelle car il n’y a pas de distributeur, pas de chargé de presse, et surtout pas d’Helen Scott. Ne croyez pas que je veuille vous flatter, mais je me rends compte de plus en plus — trois jours à Copenhague, j’en reviens — qu’il est très rare de trouver des gens de votre compétence sur cette route tortueuse qui conduit de la salle de montage à la salle de projection publique. Combien de gens besogneux, intermédiaires, vivent des metteurs en scène en les ignorant et des films en les méprisant. Pour Copenhague, je ne voulais pas y aller ; ils m’ont supplié, le cinéma était tout nouveau, le film avait été acheté cher, etc., etc. J’y vais, le directeur du cinéma était parti en week-end, il y avait une conférence de presse organisée à la même heure qu’une autre, plus importante, au Théâtre royal, bref, un voyage strictement inutile et fatigant.
(…)
Jacques Rivette termine son héroïque Paris nous appartient qui est très beau ; je n’irai pas à Cannes cette année car je serai occupé par la terminaison de mon film, musique et mixage ; de plus, on m’y a assez vu l’an dernier ; enfin, ce serait une façon très ostensible de soigner ma publicité. Je suis peut-être une putain mais coquette, rusée et raffinée, qui garde son chapeau et ses souliers (je voudrais savoir dessiner pour illustrer cette image).
(…)
Il se fait tard, chère Helen, et mes doigts sont engourdis de taper ; je devrais dire mon doigt car je ne tape qu’avec un seul, mais plus fort donc, et plus vite selon la loi bien connue de la compensation qui fait, paraît-il, que les manchots baisent mieux que les non-manchots ; cela m’ennuie un peu de terminer sur cette image triviale, d’autant que je suis toujours impuissant à l’illustrer (encore un mot malheureux, devinez lequel), mais c’est ainsi.
Croyez que je pense beaucoup à vous, et souvent ; je n’y ai aucun mérite car vous n’êtes pas de celles qu’on oublie facilement ; autrefois, Scott, c’était pour moi l’évocation de l’Antarctique, maintenant, Scott, c’est New York, oui, et même plus, Ivanhoé. Si donc Scott c’est New York, la belle Hélène c’est Paris, vous voyez que nous sommes reliés l’un à l’autre. Mais je ne suis pas certain que vous aimiez les calembours, les jeux de mots vaseux qui sont autant de dérobades de la part d’esprits virevoltants un peu féminins, un peu enfantins pour qui la consonance des mots prime [sur] leur sens profond, etc., etc. Je suis confus très sincèrement en m’apercevant d’une chose : ma lettre est écrite en moins bon français que les vôtres. Je remercie Chicago et ses brouillards puisque nous nous sommes mieux connus ainsi ; l’écorce a cédé, nous nous sommes livrés et nous sommes ainsi devenus, je l’espère, amis,
françois

Helen Scott à François Truffaut

Le 13 septembre 1963

Mon Truffe chéri,
Si vos 500 dollars m’ont rassurée, j’ai été encore plus réjouie et comblée par l’autre envoi reçu au même courrier. Votre lettre a attisé la flamme de notre idylle, ou en tout cas ma passion unilatérale. Par politesse envers Madeleine, on pourrait peut-être qualifier la nature de mon obsession, mais à quoi bon ? Prétendant que son époux est trop irrésistible pour inspirer un amour platonique, elle fait toujours mine d’avoir sa petite idée là-dessus, et je me prête d’autant plus volontiers à sa plaisanterie que j’en suis très flattée. [Toujours] est-il, comme le passage du temps, et sous votre orchestration, que nous en étions restés à une bonne camaraderie, entre égaux. Si la lettre m’a charmée, séduite et conquise, le scénario reçu le lendemain y a tellement ajouté que [me] voici, à nouveau, éperdue d’admiration, déchaînée, et tout, et tout. […]
(...)
Je vous embrasse,
Helen

Helen Scott à François Truffaut

Lundi 24 mai 1965

Mon cher François,
La poésie de votre envoi
Me remplit d’émoi
Quand je pense qu’autrefois
Vous rêviez à l’amour à trois
Alors qu’à présent, ma foi,
Vous ne me décevez qu’une fois par mois
La virilité, je m’en aperçois,
Est plus éphémère qu’on ne le croit
C’est pourquoi
Je vous donne le droit
De vous servir de vos doigts
Pour vous donner de la joie
En pensant à moi !

Ceci dit, je me lance dans un long roman-fleuve, et je vous ordonne, vous m’entendez bien, de me lire attentivement : vous me faites poireauter pendant des mois lorsque je vous parle d’emploi du temps, vous me dites de faire ce qui me convient sans penser à vous, mais, aussitôt que vous m’envoyez le fruit de vos labeurs, vous exigez que ma participation soit faite hier !
Congdon n’a aucune envie de m’écouter bafouiller une traduction de l’intro et il attendra mon texte final pour me donner son avis. Quant au rendez-vous avec Hitch, je vous ai déjà dit dans douze lettres que nous avions des choses à revoir ensemble, pas beaucoup, mais importantes quand même. Jusqu’à notre entretien, il n’y a pas de manuscrit anglais terminé !
Vous exigez en même temps de savoir exactement quand j’aurai terminé la traduction de l’intro, mais vous désirez également mon opinion dans l’optique américaine. Il m’est très difficile de défendre mon point de vue dans une lettre, à cause du manque de vocabulaire et surtout à cause de votre inattention, mais je vais quand même faire un effort. So, pay attention to what I have to say !
(…)
Je trouve qu’il faut commencer par la vérité, qui répondrait à cette accusation perpétuelle de « culte » envers Hitchcock. La vérité est que, lors d’un passage à New York, vous avez été frappé du ton condescendant d’un de vos interviewers, un écrivain, spécialiste de cinéma, en parlant d’Hitchcock, et c’est le point de démarrage, l’étincelle qui a donné naissance à votre livre. Cette conversation a fait renaître en vous un rêve de toujours : définir l’essence de l’art du cinéma par un examen approfondi des méthodes et des idées d’un de ses meilleurs talents, dont la carrière couvre justement toute l’évolution de cet art. Il n’est pas question de commencer par une réponse défensive, car l’accusation de culte n’a pas besoin d’être mentionnée par vous, mais d’y répondre de manière indirecte. Pour le public français, cela n’a pas d’importance, mais pour les cinéphiles et le public de langue anglaise, ceci est indispensable, et vous savez que j’ai raison d’insister sur ce point, si vous vous rappelez qu’invariablement, lors de vos passages ici, vous avez eu la même réaction : « Pourquoi TRUFFAUT publierait-il un livre sur Hitchcock ? »
(...)
Je vous écrirai après notre palabre de demain au téléphone. J’embrasse votre gueule enflée et endolorie.

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